Politique

Beyrouth casse les tabous autour du Hezbollah

AFP

Des partisans du Hezbollah circulent à moto en brandissant les drapeaux du groupe devant un panneau montrant l’ancien commandant irakien des Forces de mobilisation populaire Abou Mahdi al-Mouhandis, le commandant de la Force al-Qods du CGRI Qassem Soleimani, et le commandant du Hezbollah Imad Mughniyeh, dans le village d’Adaisseh, dans le sud du Liban, le 25 mai. [Mahmoud Zayyat/AFP]

Des partisans du Hezbollah circulent à moto en brandissant les drapeaux du groupe devant un panneau montrant l’ancien commandant irakien des Forces de mobilisation populaire Abou Mahdi al-Mouhandis, le commandant de la Force al-Qods du CGRI Qassem Soleimani, et le commandant du Hezbollah Imad Mughniyeh, dans le village d’Adaisseh, dans le sud du Liban, le 25 mai. [Mahmoud Zayyat/AFP]

La défense emphatique que faisait le Hezbollah du statu quo politique au Liban a laissé exploser depuis l’explosion meurtrière survenue à Beyrouth des niveaux de colère et de ressentiment public qu’il ne connaissait pas autrefois.

Ce mouvement puissant reste certes un acteur dominant au Liban, mais le statut spécial dont il jouissait et la crainte qu’il inspirait ont disparu avec l’explosion.

Dans une scène qui aurait été impensable il y a encore quelques mois, une photo du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah figurait parmi les découpes en carton que les manifestants avaient accrochées à leurs potences.

« Dans les heures qui ont suivi l’explosion, ils ont été nombreux à blâmer le Hezbollah », a expliqué Fares al-Halabi, très impliqué dans le mouvement de protestation qui a éclaté en octobre.

Un nœud coulant avec le portrait du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah pendu par des manifestants libanais dans le centre de Beyrouth, le 8 août, lors d’une manifestation contre un leadership politique auquel ils imputent l’explosion du 4 août. [AFP]

Un nœud coulant avec le portrait du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah pendu par des manifestants libanais dans le centre de Beyrouth, le 8 août, lors d’une manifestation contre un leadership politique auquel ils imputent l’explosion du 4 août. [AFP]

L’année dernière, a-t-il rappelé, « il y avait eu un accord tacite au sein du camp révolutionnaire pour ne pas soulever la question du Hezbollah et de ses armes ».

Le groupe est la seule faction à avoir gardé ses armes bien après la guerre civile de 1975 à 1990. Sa puissance militaire rivalise avec celle de l’État et elle est vue par beaucoup comme l’un des principaux obstacles aux réformes démocratiques.

Le verdict prononcé mardi par un tribunal spécial aux Pays-Bas a jugé par contumace un membre du Hezbollah, Salim Ayyash, coupable de l’assassinat en 2005 de l’ancien Premier ministre Rafic al-Hariri.

L’enquête n’a pas établi de lien direct avec la direction du Hezbollah, mais elle a souligné la nature éminemment politique de ce crime.

« Les membres opérationnels du Hezbollah n’agissent pas en indépendants », a commenté le secrétaire d’État américain Mike Pompeo.

En sautant dans le marigot politique généralisé, la milice a montré qu’elle devait être tenue pour responsable, si non redevable, des défaillances de l’État.

Quels que soient les résultats des enquêtes sur ce qui a déclenché cette explosion dans le port le 4 août, qui a tué plus de 180 personnes, de nombreux Libanais s’accordent déjà sur une chose : c’est l’ensemble de l’élite corrompue au pouvoir qui est le véritable coupable.

Quel que fût être le propriétaire de ce stock de nitrate d’aluminium qui a explosé et ravagé des quartiers entiers de Beyrouth, les principaux acteurs d’influence d’un système que domine et protège le Hezbollah étaient au courant.

Lorsque les manifestants, dans un rare spectacle d’unité non sectaire, ont cherché à abattre le système, c’est le Hezbollah qui est venu à la rescousse de la classe conspuée de barons politiques héréditaires du Liban.

« Dirigeant de facto »

« Pour moi, ce fut une initiative significative. Le Hezbollah aurait pu dissimuler son rôle, mais il a choisi de protéger le système qui s’effondrait », a déclaré Sami Atallah, directeur du Centre libanais d’études politiques.

La ferveur entourant Nasrallah comme leader religieux créa aussi une règle de lèse-majesté qui poussa ses opposants les plus féroces à y réfléchir à deux fois avant d’exprimer leur opinion avec la même bravade qu’ils le faisaient contre d’autres politiciens.

Cette retenue a disparu après l’explosion du 4 août alors qu’une opinion publique furieuse s’en est prise à ses responsables politiques, Nasrallah compris, d’une manière qui n’avait jamais été vue auparavant.

De nombreux Libanais ont vu cette explosion comme la preuve la plus évidente que la corruption tue. Aujourd’hui, les langues se sont déliées et critiquer le Hezbollah n’est désormais plus un sacrilège.

Un même largement partagé montre Nasrallah retenant ses larmes après la mort du général iranien Qassem Soleimani en Irak en début d’année, contrastant avec un autre qui le montre serein et souriant après l’explosion à Beyrouth.

Le pire désastre en temps de paix qu’ait connu le Liban a fait plus plus de 6 000 blessés et mutilés, laissé 70 000 personnes sans emploi, et des centaines de milliers sans abris.

De nombreuses victimes ont expliqué qu’elles ne pourront jamais pardonner à l’État de n’avoir rien fait pour empêcher cette explosion et pour n’avoir pas su répondre de manière appropriée.

L’activiste Naji Abou Khalil a déclaré qu’avant cette explosion « le Hezbollah avait réussi à se faire passer pour un parti de l’anti-establishment ».

« Désormais, l’image du Hezbollah d’un parti de gouvernement comme n’importe quel autre est plus forte que celle d’un parti de la résistance », a expliqué Abou Khalil, également membre du conseil de direction du parti réformiste et laïc du Bloc national.

Le Hezbollah avait le meilleur des deux mondes, jouissant d’un pouvoir considérable en coulisse sans avoir à répondre publiquement de ses décisions.

Il s’aperçoit maintenant qu’être le patron a aussi ses inconvénients, explique Halabi en parlant du mouvement qui domine le parlement et le gouvernement avec ses alliés.

« Le Hezbollah est le dirigeant de facto et tout ce qui se passe se fait sous son autorité... le chef est toujours celui qui porte la responsabilité et toutes les conséquences négatives qui s’ensuivent », a-t-il conclu.

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