Le procureur militaire du Liban a condamné lundi 14 décembre la militante anti-Hezbollah Kinda al-Khatib à trois ans de « travaux forcés ».
Al-Khatib, âgée d'une vingtaine d'années, avait été arrêtée en juin et accusée de « collaboration avec l'ennemi », « entrée dans les territoires occupés palestiniens » et « collaboration avec des espions de l'armée israélienne », a rapporté l'AFP.
Le Liban est techniquement toujours en guerre avec Israël et interdit à ses ressortissants de s'y rendre.
Avant son arrestation, al-Khatib avait critiqué sur Twitter le mouvement chiite libanais du Hezbollah et appelé à son désarmement, qui est vu à la fois par le gouvernement libanais et par la communauté internationale comme la seule voie possible par laquelle le Liban pourra retrouver la prospérité.
Elle avait également salué le Caesar Act, les nouvelles sanctions américaines contre la Syrie entrées en vigueur le 17 juin qui pénalisent les sociétés dans le monde qui font des affaires avec le régime de Bashar el-Assad et bloquent toute aide américaine à la reconstruction jusqu'à ce que les auteurs des violations dans la guerre en Syrie soient traduits en justice.
Nombreux sont ceux qui, au Liban, craignent que ces nouvelles sanctions n'aient un effet néfaste sur le pays à moins que le Hezbollah et d'autres factions rompent leurs liens avec le régime syrien.
La famille d'al-Khatib et d'autres militants ont dénoncé son arrestation, la qualifiant de « politique » en raison de ses tweets contre les responsables au pouvoir.
Médias et militants libanais ont établi un parallèle entre le cas d'al-Khatib et celui de l'acteur Ziad Itani, lui aussi accusé d'avoir « collaboré » avec Israël en 2017.
Itani avait été déclaré innocent et relâché plusieurs mois plus tard, et un officier de sécurité de haut rang avait été accusé d'avoir fabriqué cette affaire « de toutes pièces ».
Le Hezbollah est le seul parti à ne pas avoir désarmé après la guerre civile au Liban qui a sévi durant les années 1975-1990, époque depuis laquelle il est également devenu un acteur majeur de la politique libanaise.
Ce groupe chiite est désigné comme une entité « terroriste » par de nombreux gouvernements occidentaux.
Le Hezbollah musèle ses opposants
Al-Khatib, active dans les manifestations anti-corruption qui ont commencé au Liban en octobre dernier, a été arrêtée le 18 juin dans sa ville natale d'Akkar, dans le nord du pays, et déférée devant un tribunal militaire.
Dans un fil publié sur son compte Twitter en langue arabe après son arrestation, Amnesty International a déclaré que « le droit international réfute le procès de civils par les tribunaux militaires, quelles que soient les charges pesant contre eux. Nous en appelons aux autorités judiciaires libanaises pour qu'elles transfèrent sans délai le dossier de Kinda al-Khatib aux tribunaux civils. »
« Les tribunaux militaires manquent de transparence dans leurs investigations et dans leurs justifications des verdicts prononcés et ne donnent à la défense qu'un espace limité pour faire appel. Ces conditions violent le droit des civils à bénéficier d'un procès équitable », a ajouté Amnesty.
La même semaine, le bureau du procureur dans le gouvernorat du Mont-Liban a accusé Sayed Ali Al-Amin, un imam chiite critique envers le Hezbollah « d'attaques constantes contre la résistance [du Hezbollah] et ses martyrs », « incitation à la violence entre les sectes » et « non-respect des principes de l'école de pensée [islamique] Jaafari [chiite] ».
S'il est reconnu coupable, al-Amin risque la détention à perpétuité voire la peine de mort.
Les responsables politiques et les militants libanais ont réagi avec colère à l'arrestation d'al-Amin, déclarant que les charges retenues contre lui sont politiques et « une tentative de la part du Hezbollah de diaboliser ses opposants religieux », selon Arabi 21.
« Un jugement politique »
Myriam al-Khatib, la sœur de Kinda, a expliqué à Al-Mashareq que sa sœur est une « militante anti-Hezbollah qui appelle à son désarmement et à l'imposition de la souveraineté de l'État et de l'armée ».
Mais cela l'a récemment exposée à des menaces, a-t-elle indiqué.
« Kinda n'a pas été convoquée lors des trois premières audiences du tribunal militaire, et lors de la quatrième, le 14 décembre, il a rendu son verdict[...] malgré l'incapacité de la cour à présenter une quelconque preuve contre elle », a-t-elle expliqué.
Ce jugement « est politique, car le Hezbollah domine le tribunal, réprime et musèle les militants », a-t-elle ajouté.
« En tant que militants politiques, nous savons que l'accusation la plus commune retenue contre nous pour nos critiques du Hezbollah est celle d'être des agents d'Israël, sans un début de preuve, en particulier parce que le tribunal militaire est politisé et soumis à de fortes pressions du Hezbollah », a déclaré le militant Ahmed al-Sayed à Al-Mashareq.
« Ce à quoi nous assistons, ce sont des arrestations sous de faux prétextes et à une répression sous un contrôle partisan », a-t-il affirmé. « Le Liban se transforme sur le modèle iranien ; nous sommes devenus une petite province iranienne placée sous le contrôle du Basij du Hezbollah », en référence à la milice paramilitaire sous les ordres du Corps des Gardiens de la révolution islamique.
« Quiconque s'oppose au Hezbollah est menacé [...] au point d'être assassiné », a conclu al-Sayed, ajoutant que le parti possède ses propres centres de détention et a dans le passé éliminé des opposants, pourtant d'obédience chiite, dans le plus grand secret.