Plusieurs mois après la répression meurtrière des manifestations déclenchée par une augmentation du prix de l’essence, les responsables iraniens ont enfin fourni un bilan officiel et ont admis que certaines personnes avaient été tuées pour des raisons inconnues.
Bien que cet aveu marque une rupture avec la position antérieure du régime, certains estiment que ce n’est pas suffisant, ont déclaré des spécialistes des questions iraniennes à Al-Mashareq, et d’autres affirment que le bilan officiel n’est pas exact et est en réalité beaucoup plus élevé.
Des manifestations ont éclaté dans tout le pays le 15 novembre, suite à la décision brutale d’augmenter le prix de l’essence jusqu’à 200 %.
Plus de six mois plus tard, le 1er juin, le député iranien Mojtaba Zolnour, qui dirige la commission parlementaire de la sécurité nationale et des affaires étrangères, a déclaré que 230 personnes avaient été tuées et des milliers d’autres blessées lors des manifestations.
Selon Zolnour, sur les 230 personnes qui ont perdu la vie, six étaient des « agents officiels et des forces de sécurité », a rapporté l’AFP.
Il a affirmé que 20 % des morts étaient des « agents de maintien de l’ordre et de la paix » issus des rangs des forces de la police, de la sécurité, des renseignement et de la Force de résistance de Basij, un groupe paramilitaire utilisé pour la sécurité intérieure.
Sept autres pour cent ont été « tués lors d’affrontements directs avec les forces de sécurité », a-t-il indiqué, les décrivant comme des émeutiers armés, et 26 % ont été tués pour des « raisons inconnues ».
Zolnour a également affirmé qu’environ 2000 civils et 5000 membres des forces déployées pour assurer l’ordre avaient été blessés.
Le 30 mai, le ministre de l’Intérieur Abdolreza Rahmani Fazli avait laissé entendre qu’entre 200 et 255 personnes avaient été tuées lors des manifestations, affirmant que 40 à 45 d’entre elles avaient été tuées avec des « armes non conventionnelles ».
Avant ces déclarations, les responsables iraniens avaient à plusieurs reprises qualifié de « mensonges » les bilans de décès fournis par les médias étrangers et les groupes de défense des droits de l’homme, et avaient confié ce décompte à différents organismes d’État.
Les chiffres du gouvernement ne sont « pas fiables »
« Les chiffres récemment publiés par des responsables gouvernementaux ne sont pas fiables », a déclaré l’étudiant militant Ali Zanjani à Al-Mashareq.
Plus de six mois se sont écoulés depuis les manifestations, « et aucune source indépendante n’est autorisée à se rendre en Iran pour enquêter sur la question », a-t-il ajouté.
« Pendant longtemps, les autorités compétentes n’ont pas voulu fournir d’informations sur cette question, et si un journaliste posait des questions à ce sujet, ils recevaient des menaces », a fait savoir Zanjani.
En décembre, par exemple, un journaliste a posé la question suivante au procureur général de l’Iran : « Les gens se demandent pourquoi le nombre de morts n’est pas annoncé. »
Le procureur général lui a répondu avec colère : « Êtes-vous un représentant du peuple ? »
La presse n’était et n’est toujours pas autorisée à publier des informations ou des articles indépendants à cet égard, a déclaré Zanjani, soulignant que « les familles ont toutes été menacées, et beaucoup d’entre elles n’ont accès à aucun média pour faire entendre leur voix ».
« Dans une situation pareille, comment peut-on faire confiance à ces chiffres ? », s’est-il interrogé.
La meilleure façon de déterminer le nombre de victimes dans ces circonstances est de regarder les chiffres fournis par les hôpitaux locaux pendant les manifestations, a-t-il expliqué.
« Dans un cas», par exemple, au moins 34 personnes sont mortes après avoir été emmenées dans un seul hôpital de Karaj, a-t-il indiqué. « On peut deviner ce qui s’est passé dans des dizaines d’autres villes et des centaines d’hôpitaux. »
Ces chiffres n’incluent pas les personnes tuées dans la rue, dont les corps n’ont pas été rendus à leurs familles « avant longtemps », a-t-il déclaré, ajoutant que « le gouvernement iranien a souvent falsifié des statistiques et menti. »
Cela est avéré par la réponse du gouvernement à la crise du nouveau coronavirus, a-t-il affirmé, où des milliers de décès dus à la COVID-19 n’ont pas été enregistrés comme tels.
Des éléments du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) sont stationnés dans les hôpitaux, a-t-il rapporté, « et ils décident du nombre de décès [par coronavirus] qui sont signalés chaque jour ».
Compte tenu de cela, « on peut imaginer combien de mensonges ont été racontés sur les manifestations de novembre », a ajouté Zanjani.
Les familles des manifestants sont défavorisées
« Il ne fait aucun doute que le nombre de morts en novembre est bien plus élevé que 230 », a affirmé à Al-Mashareq la journaliste Mina Bashiri, qui vit à Téhéran, notant qu’Amnesty International avait documenté au moins 304 décès.
Lorsqu’une organisation extérieure à l’Iran, dont la seule source de contact sont les familles touchées par les meurtres, a pu identifier plus de 300 morts, il semble qu’une enquête indépendante aurait permis d’en découvrir un plus grand nombre, a-t-elle déclaré.
De nombreuses victimes sont issues de familles rurales pauvres qui n’ont pas accès à des organisations comme Amnesty, même par internet, et qui ne sont pas en mesure de parler de ce qui leur arrive, a-t-elle noté.
Vu l’ampleur des manifestations en Iran, Bashiri a déclaré : « Je pense que les chiffres avancés par le gouvernement sont complètement faux. »
Un rapport de Reuters qui donnait le chiffre de 1500 est probablement plus exact, a-t-elle indiqué, mais même en supposant que le chiffre officiel soit correct, « que démontre le meurtre de 230 personnes, autre que la brutalité et la criminalité du gouvernement iranien ? »
Si même les hauts fonctionnaires admettent que les trois quarts, soit environ 170, ont été tués par le gouvernement, elle s’est interrogée sur le point de savoir si « le massacre de 170 personnes pouvait être défendable, du point de vue du gouvernement ».