Les responsables yéménites qui ont parlé à Al-Mashareq ont applaudi le prix Nobel de la paix 2020 décerné au Programme alimentaire mondial, affirmant qu'il avait consenti des « efforts considérables » pour lutter contre la faim dans le pays et dans le monde.
En réponse à l'affirmation des Houthis, après la remise du prix du 9 octobre, selon laquelle le programme des Nations unies manque de neutralité, ils ont déclaré que la milice soutenue par l'Iran a constamment entravé la distribution de l'aide au Yémen.
Le PAM a été récompensé « pour ses efforts de lutte contre la faim, pour sa contribution à l'amélioration des conditions de paix dans les zones touchées par les conflits et pour avoir fait progresser les efforts visant à empêcher l'utilisation de la faim comme arme de guerre et de conflit », selon la déclaration du prix.
Jusqu'en avril dernier, le PAM fournissait de la nourriture à quelque 13 millions de Yéménites chaque mois, dans un pays où plus de 20 millions de personnes n'ont pas accès à suffisamment de nourriture et où près de 10 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire aiguë.
Ce mois-ci, cependant, l'organisation a annoncé qu'elle réduira de moitié l'aide alimentaire dans les zones contrôlées par les Houthis (Ansarallah), indiquant qu'elle est « confrontée à un grave manque de financement dans un environnement très difficile » dans les zones contrôlées par cette milice soutenue par l'Iran.
Elle a ajouté que plusieurs donateurs avaient réduit l'aide qu'ils fournissaient au Yémen en raison des obstacles créés par les Houthis, qui empêchaient l'aide d'atteindre les bénéficiaires.
En 2019, après le vol d'une partie de l'aide destinée aux civils, le programme avait suspendu la distribution de nourriture dans les zones contrôlées par les Houthis pendant deux mois.
Le PAM avait fait savoir que cette décision avait été prise après l'impasse des négociations sur un accord visant à introduire des contrôles biométriques comme les empreintes digitales, « afin d'empêcher le détournement de la nourriture destinée aux personnes les plus vulnérables au Yémen ».
Fin 2018, le PAM avait signalé que de nombreux habitants de la ville de Sanaa contrôlée par les Houthis n'avaient pas reçu l'aide alimentaire qui leur avait été allouée, et que dans certaines autres régions du Yémen, les gens avaient été privés de rations alimentaires complètes.
Il avait exigé que les Houthis cessent d'interférer dans la distribution de l'aide alimentaire.
Les Houthis ont interféré dans la distribution de l'aide
Des sources au Yémen ont indiqué à Al-Mashareq que les critiques envers les Houthis proviennent du fait que la nourriture n'a pas été distribuée dans les zones sous leur contrôle autant qu'elle l'a été dans d'autres zones.
Talaat al-Sharjabi, un responsable des Houthis, a déclaré que le PAM « a largement échoué dans la lutte contre la faim, car un grand nombre de personnes souffrent de malnutrition. Il n'est pas non plus parvenu à rester neutre dans la distribution de l'aide humanitaire au Yémen ».
Le vice-ministre yéménite des Droits de l'homme, Nabil Abdoul Hafeez, a déclaré à Al-Mashareq que les Houthis ont interféré dans la distribution de l'aide « directement et indirectement ».
« Ils ont forcé les organisations d'aide à embaucher des travailleurs qui leur sont affiliés et ont manipulé la distribution de l'aide », a-t-il affirmé. « Ils ont également volé de la nourriture et l'ont distribuée aux activistes houthis, comme cela a été prouvé. »
« Les Houthis ont exigé que l'aide en espèces commence avant l'enregistrement avec le système d'empreintes digitales », a indiqué à Al-Mashareq Mourad al-Gharati, conseiller au ministère yéménite des Droits de l'homme.
Au-delà des questions de responsabilité, il a ajouté qu'il est « difficile de convertir l'aide alimentaire en aide financière dans les conditions actuelles du pays ».
Pendant ce temps, alors que la population souffre de la faim, les Houthis ont marqué le 24 septembre 2 000 jours de « résistance » contre la coalition arabe à Sanaa en montrant des piles d'argent liquide, de nourriture et d'autres dons présentés à leurs combattants.
Alors que le pays est au bord de la famine, des piles de nourriture données par des membres de tribu ont été chargées sur des camions et exposées sur la place al-Sabeen de Sanaa, a rapporté l'AFP.
Au milieu de la place se trouvait une pyramide à plusieurs étages de riyals yéménites, étroitement gardée par des hommes armés, et un autre ensemble de piles sur le sol dessinant le chiffre « 2 000 ».
D'autres billets de banque ont été disposés pour représenter le 21 septembre, date à laquelle les Houthis ont pris le contrôle de la capitale lors de leur coup d'État.
Des efforts considérables malgré les difficultés
Le PAM a mené des efforts considérables pour lutter contre la faim dans le monde et mérite la reconnaissance qu'il a reçue, a affirmé Moustafa Nasr, président du Centre d'études et des médias économiques.
« C'est un message encourageant pour l'action humanitaire contre la pauvreté et la faim dans le monde », a-t-il déclaré à Al-Mashareq.
Mais « le programme a rencontré beaucoup de difficultés au Yémen », a-t-il indiqué, en soulignant les « erreurs catastrophiques » pour lesquelles le PAM et les Houthis sont tous deux responsables. « Ces erreurs consistaient notamment à diriger l'aide vers des bénéficiaires qui ne la méritait pas. »
L'économiste Abdoul Aziz Thabet a déclaré à Al-Mashareq que ceux qui suivent le travail du PAM dans les zones contrôlées par les Houthis constatent qu'il a œuvré pour apporter la nourriture aux bénéficiaires désignés.
Cela, a-t-il précisé , en dépit du fait que les Houthis saisissent parfois l'aide ou qu'ils manipulent occasionnellement le processus de distribution.
Pour Thabet, il est vrai que les responsables du PAM ont cédé à une certaine pression de la part des Houthis, bien qu'à contrecœur. Mais malgré les risques qu'ils encourent, a-t-il poursuivi, ils continuent à livrer de la nourriture après cinq ans de guerre et de famine au Yémen.
Il a noté que les erreurs font partie du processus de travail dans un pays où un groupe armé ne respecte pas la loi et l'ordre et crée des obstacles pour les organisations humanitaires.