Économie

Liban: manifestations et pauvreté à Tripoli

Nohad Topalian à Beyrouth

Des manifestants libanais convergent vers la place al-Nour de Tripoli pour protester contre les conditions économiques et la corruption. [Muhammad Fathi/Al-Mashareq]

Des manifestants libanais convergent vers la place al-Nour de Tripoli pour protester contre les conditions économiques et la corruption. [Muhammad Fathi/Al-Mashareq]

La ville de Tripoli, dans le nord du Liban, qui est déjà l'une des plus pauvres du pays, a été particulièrement touchée par le double impact de la crise financière et de la pandémie du nouveau coronavirus (COVID-19).

Alors que les conditions de vie se détériorent, une grande partie des quelque 730 000 habitants de la ville sont descendus dans la rue pour participer aux manifestations quotidiennes.

« Nous sommes arrivés à un point où nous ne nous soucions plus tant du coronavirus que de trouver du pain pour satisfaire la faim de nos enfants », a fait savoir à Al-Mashareq Adel al-Sarraj, originaire de Tripoli et ancien vendeur sur un stand mobile de café.

Al-Sarraj, qui a été forcé de vendre son chariot pour acheter de la nourriture pour ses cinq enfants et des médicaments pour sa mère, campe sur la place al-Nour de la ville où des manifestants ont convergé pour protester contre la corruption du gouvernement.

« Nous sommes tous aujourd'hui à la recherche de pain, de nourriture, d'électricité et de soins médicaux, mais nous n'avons pas d'argent parce que nous avons perdu nos emplois », a-t-il rapporté, ajoutant que Tripoli est « en ébullition à cause de la détérioration continue de la situation économique ».

La pénurie de dollars a déclenché une inflation, entraînant la hausse du prix des denrées alimentaires de base, a-t-il déclaré, notant que le prix du pain est passé de 1 500 livres libanaises (1 $) à 2 000 (1,33 $).

La « pauvreté extrême » menace

La situation n'est pas meilleure dans le reste du Liban.

Le 10 juillet, Michelle Bachelet, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a averti que la crise économique du pays devenait incontrôlable, a rapporté l'AFP.

Elle a appelé à des réformes internes urgentes et à un soutien international pour éviter de nouveaux problèmes, prévenant que les populations vulnérables sont menacées d'extrême pauvreté.

« Cette situation devient rapidement incontrôlable, beaucoup de personnes sont déjà démunies et risquent de mourir de faim directement à cause de cette crise », a-t-elle déclaré. « L'alarme a été tirée et nous devons réagir immédiatement avant qu'il ne soit trop tard».

Des dizaines de milliers de Libanais ont perdu leur emploi ou une partie de leur salaire, tandis qu'une pénurie paralysante de dollars a déclenché une spirale inflationniste.

Bachelet a déclaré qu'une crise du chômage ferait augmenter la pauvreté et l'endettement avec de « graves conséquences » dans un pays aux protections sociales fragiles.

Elle a ajouté que les Libanais vulnérables, ainsi que 1,7 million de réfugiés, avaient de plus en plus de mal à satisfaire leurs besoins fondamentaux, tout comme 250 000 travailleurs migrants, beaucoup ayant perdu leur emploi ou s'étant retrouvés sans abri.

Beaucoup de gens imputent la crise actuelle au Hezbollah, qui domine la vie politique du pays et dont l'engagement direct et indirect dans les guerres régionales pour servir l'agenda de l'Iran a freiné la création d'un État stable et prospère au Liban.

Par conséquent, l'aide arabe et occidentale a été suspendue et la coopération économique entre le Liban et d'autres partenaires a été restreinte.

Demande d'aide croissante

Dans le même temps, à Tripoli, « la pauvreté augmente à un rythme alarmant », a rapporté Rawiya Ghandour, qui dirige la branche de Tripoli de l'association caritative Ajialouna (Nos Générations).

À cause de la crise actuelle au Liban, a-t-elle indiqué à Al-Mashareq, « la classe moyenne est devenue pauvre et la classe aisée est devenue la classe moyenne ».

« Nous constatons cette détérioration dans la demande croissante pour la nourriture et l'assistance médicale que nous fournissons », a-t-elle déclaré.

La pauvreté à Tripoli était « profondément enracinée » avant le déclenchement des manifestations et la crise du coronavirus, ce qui n'a fait qu'exacerber la situation, a déclaré Mohammed Mourad, président de l'Association du barreau de Tripoli et du Nord-Liban.

Il a expliqué à Al-Mashareq que la pauvreté chronique dans la ville peut être attribuée à « l'augmentation du chômage chez les jeunes hommes et femmes en raison du manque de possibilités d'emploi dans les secteurs public et privé ».

Le taux de chômage a atteint 70 % à Tripoli, a-t-il indiqué, soulignant que cela a été alimenté par un manque d'investissements et de projets de production.

Le Liban est menacé d'un effondrement massif, a-t-il ajouté, indiquant que le risque « s'accélère de jour en jour avec la baisse de la valeur du taux de change de la livre face au dollar ».

« Au fur et à mesure que la situation s'aggravera, elle deviendra de plus en plus étouffante pour les gens, car la ceinture de pauvreté et de faim s'étend à Tripoli », a poursuivi Mourad.

La colère monte à Tripoli

Les habitants de Tripoli sont confrontés « depuis longtemps à la détérioration des conditions économiques et au manque d'opportunités d'emploi », a déclaré Ahmed al-Obeid, un leader du mouvement de la « Révolution des défavorisés » qui a formé le noyau des manifestations de Tripoli.

« Nous assistons aujourd'hui à une situation tragique, au point que certaines familles troquent du pain et des vêtements contre du lait pour leurs enfants », a-t-il rapporté à Al-Mashareq.

Selon la militante Linda Makari, la pauvreté « s'étend à un rythme effréné à Tripoli, en raison de la baisse du taux de change de la livre, des pannes d'électricité et de la grave pénurie de denrées alimentaires ».

La colère grandit chez les habitants de la ville, a-t-elle fait savoir à Al-Mashareq, car la grande majorité d'entre eux vivent maintenant sous le seuil de pauvreté.

Cette colère est aggravée lorsque les habitants de Tripoli voient des camions passer en contrebande des matières premières, de la nourriture et du carburant vers la Syrie, alors même qu'ils souffrent de la faim, a-t-elle ajouté.

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