Pieds nus et portant un haut bleu rayé, Ahmed al-Hamadi, âgé de 13 ans, va de l'école à un cimetière de Sanaa où il travaille pour aider sa famille à survire.
Transportant des litres d'eau sur ses épaules, il arrose les plantes et les pierres tombales pour les débarrasser de la poussière de Sanaa contre une modeste somme versée par les familles des défunts.
« On attend en général les processions funéraires pour travailler », a expliqué Ahmed. « Si personne n'est mort, on reste autour des tombes et on joue. »
Ahmed fait partie des millions d'enfants yéménites qui luttent pour rester à l'école, alors que la guerre, la pauvreté et la maladie ont mis à genoux le pays le plus pauvre du monde arabe.
La guerre du Yémen, qui est entré la semaine dernière dans sa cinquième année, voit s'affronter le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi et les Houthis (Ansarallah) soutenus par l'Iran, et elle a déclenché ce que les Nations unies qualifient de pire crise humanitaire du monde.
Les enfants sont les plus exposés
Le Yémen a le taux de travail des enfants le plus élevé du monde arabe, en pourcentage comme en chiffres, selon l'Organisation internationale du travail.
Et dans le chaos de la guerre, les enfants sont les plus exposés au risque, les filles sont contraintes de se marier et les garçons sont recrutés comme combattants.
L'UNICEF a qualifié en 2018 le Yémen « d'enfer sur terre pour les enfants », où 80 % des mineurs ont besoin d'aide.
L'agence estime que deux millions d'enfants yéménites, sur un total de sept millions admissibles, sont actuellement déscolarisés.
En plus de la violence, l'économie déjà fragile du Yémen s'est contractée de plus de 50 % depuis l'escalade du conflit en 2015, d'après la Banque mondiale.
La monnaie et le pouvoir d'achat se sont effondrés.
Le secteur privé du Yémen est mort, et la Banque centrale gérée par le gouvernement a eu du mal à payer les salaires des fonctionnaires, malgré les injections de deux milliards de dollars en liquide de l'Arabie saoudite.
De nombreuses familles n'ont d'autre choix que de compter sur leurs enfants pour assurer leurs revenus, parfois pour seulement quelques dollars par mois.
Atiqa Mohammed tient une petite épicerie où les rayons sont souvent vides. Un après-midi de mars, elle n'avait plus de pain ou de lait à vendre à un groupe d'enfants.
« La guerre a tout dévoré », a-t-elle expliqué. « Je ne veux pas grand-chose. Du pain et du thé suffiraient, tant que c'est acquis honnêtement. »
« Pleins de visiteurs »
Selon les Nations unies, les trois quarts des 29 millions d'habitants du Yémen ont besoin d'aide humanitaire, et près de dix millions sont au bord de la famine.
Dans certaines régions, les enseignants n'ont pas été payés depuis 2016. L'UNICEF est intervenue ce mois-ci pour verser l'équivalent de 50 dollars environ à 100 000 d'entre eux.
Ahmed fait partie des plus chanceux. Son école est toujours ouverte. Mais quand son père n'a pu trouver de travail, c'est lui qui a dû aider sa famille. Il a d'abord essayé de mendier dans la rue, avant de se tourner vers le cimetière en derniers recours.
Âgé de quinze ans, Yasser al-Arbahi s'est lui aussi retrouvé à travailler dans un cimetière lorsque son père a été victime d'un AVC. Il va à l'école le matin, puis se rend au cimetière après le repas de midi.
« Si une tombe a besoin d'être nettoyée, je l'arrose », a-t-il expliqué. « Le vendredi, je fais en sorte d'avoir de l'eau à vendre aux familles qui se rendent sur leur sépulture. »
Près de 10 000 personnes ont trouvé la mort au Yémen au cours des quatre dernières années, selon l'Organisation mondiale de la santé, mais des groupes de défense des droits de l'homme indiquent que le bilan pourrait être cinq fois plus lourd.
Parmi les stèles de Sanaa, Yasser accorde une attention particulière aux cactus et aux fleurs plantées sur les tombes, en prenant le temps de toutes les arroser.
Il semble reconnaissant d'avoir ce travail : « Les cimetières sont pleins de visiteurs ».