Société

Des femmes persécutées par une campagne de moralité des Houthis

AFP

Des femmes yéménites se promènent dans le marché de la vieille ville de Sanaa le 2 mars. Ces derniers mois, une série d'incidents dans le nord tenu par les Houthis illustre la détermination de la milice à imposer son propre ordre moral aux Yéménites. [Mohammed Huwais/AFP]

Des femmes yéménites se promènent dans le marché de la vieille ville de Sanaa le 2 mars. Ces derniers mois, une série d'incidents dans le nord tenu par les Houthis illustre la détermination de la milice à imposer son propre ordre moral aux Yéménites. [Mohammed Huwais/AFP]

Les Houthis sont arrivés sans prévenir, lourdement armés et furieux, faisant irruption dans Ophelia, le seul café pour femmes de Sanaa, exigeant qu'il soit fermé immédiatement.

Lorsque la propriétaire Shaima Mohammed a demandé un peu de temps pour permettre à ses clientes de rassembler leurs affaires, l'un des Houthis lui a répondu : « Les femmes devraient être chez elles. Pourquoi sortent-elles en public ? »

« La rue était remplie d'hommes armés, qui lançaient des obscénités aux femmes qui partaient », a raconté Shaima dans un message sur Facebook alors qu'elle annonçait la fermeture du café.

Cet incident, parmi d'autres dans le nord tenu par l'opposition, illustre la détermination des Houthis soutenus par l'Iran à imposer leur propre ordre moral aux Yéménites, qui ont déjà enduré cinq ans de conflit épuisant.

Ces derniers mois, des restaurants où hommes et femmes se mêlent ont été fermés, des milices armées de ciseaux ont contrôlé les coiffures des hommes, et les forces houthies ont patrouillé les campus universitaires pour faire respecter les codes vestimentaires.

Une grande partie de la répression s'est déroulée sans décret ni documentation officielle, mais l'AFP a consulté la copie d'une lettre houthie envoyée à des groupes non gouvernementaux et illustrant le nouvel état d'esprit alors qu'elle établissait des règles pour les ateliers.

« Exclure toutes les activités qui visent à susciter le rire, la joie ou le divertissement chez les stagiaires, et qui conduisent à l'abaissement des barrières et de la modestie entre les femmes et les hommes », indiquait-elle.

« C'est quelque chose qui contredit complètement les enseignements de l'islam et l'éthique de notre société yéménite. »

La maltraitance des femmes « va à l'encontre des valeurs »

La longue guerre au Yémen a opposé les Houthis, qui sont soutenus par l'Iran et contrôlent de grands zones au nord, au gouvernement internationalement reconnu qui bénéficie du soutien d'une coalition militaire dirigée par l'Arabie saoudite.

Le conflit a tué des dizaines de milliers de personnes dans ce qui était déjà la nation la plus pauvre du monde arabe, et a déclenché ce que les Nations unies qualifient de pire crise humanitaire sur Terre, avec des millions de personnes déplacées et ayant besoin d'aide.

« La situation dans les zones contrôlées par les Houthis est de plus en plus tendue. Les gens ont peur », a rapporté Nadwa al-Dawsari, analyste de ce conflit au Yémen.

Elle a confirmé les récits de femmes persécutées parce qu'elles portaient des ceintures avec leur robe abaya traditionnelle, les Houthis les arrachant sous prétexte que la silhouette qu'elles créent est trop « excitante ».

« C'est choquant pour la société yéménite, car c'est une chose de dénoncer certains comportements et ce que les gens portent, mais c'en est une autre de maltraiter ces femmes comme le font les Houthis », a déclaré Dawsari.

« Cela va à l'encontre de nos valeurs tribales, à l'encontre de nos valeurs musulmanes [...]. La différence maintenant, c'est que les Houthis peuvent y contraindre les gens qui vivent sous leur contrôle. »

Cette campagne houthie se heurte à une société qui, bien que conservatrice, a traditionnellement laissé un espace aux libertés individuelles et cultivé l'appréciation de la musique et des loisirs, a expliqué Adel al-Ahmadi, un universitaire yéménite.

Interdiction de Saint-Valentin

Des témoins à Sanaa ont rapporté à l'AFP un nombre croissant d'incidents inquiétants depuis fin 2019, une période qui a également vu les Houthis remporter des victoires sur le champ de bataille et aggraver une confrontation avec les agences onusiennes qui tentent de fournir une aide humanitaire.

Le 13 février, à la veille de la Saint-Valentin, des jeunes ont été battus dans la rue pour ne pas avoir respecté les nouvelles règles de tenue vestimentaire acceptable.

Contrairement à la période avant le conflit, où les gens étaient libres de célébrer ce jour avec des chocolats et des fleurs, un jeune homme s'est fait arracher sa chemise rouge par des assaillants qui y ont vu le symbole d'un événement contraire aux valeurs yéménites.

En janvier, les salons de coiffure pour hommes ont appris que les coupes à la mode étaient interdites. Les jeunes hommes qui ont enfreint la règle avec des styles plus longs ont été traînés jusqu'aux principaux carrefours où leurs cheveux ont été coupés en public avec de gros ciseaux.

Un autre propriétaire de café de Sanaa a déclaré à l'AFP que son établissement avait été fermé deux fois en trois mois par des Houthis armés.

« Nous sommes totalement opposés à ces mesures abusives et aux restrictions imposées aux habitants de la capitale », a-t-il protesté.

Les houthis ont également fait campagne dans les écoles et sur les campus universitaires contre les jeunes « mal habillés », a fait savoir Hemdane al-Ali, journaliste en exil et militant des droits de l'homme.

À l'université de Sanaa, ils ont formé des escouades qui « patrouillent dans les couloirs pour empêcher tout contact entre étudiants de sexe différent », a-t-il indiqué à l'AFP.

« Les jeunes combattants suivent des mois d'entraînement dans les montagnes, où ils apprennent non seulement à utiliser les armes, mais sont aussi endoctrinés dans une version radicale de l'islam chiite », a déclaré Dawsari à l'AFP.

« Si vous voulez comprendre pourquoi les Houthis se comportent de certaines manières, il faut regarder l'Iran [...]. Ils ont été formés par l'Iran, ils ont appris comment utiliser la désinformation, comment soumettre les femmes. Ils sont en train de développer un État policier semblable au régime iranien. »

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