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La Russie désinforme avec une vidéo manipulée de l'EIIS

La rédaction d'Al-Mashareq

Une analyse de cette vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux met en évidence les efforts mis en œuvre par le Kremlin pour promouvoir la théorie du complot discréditée selon laquelle les Etats-Unis soutiennent l'EIIS.

L'analyse d'une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux souligne les efforts déployés par le Kremlin pour tenter de convaincre les arabophones et les russophones que les Etats-Unis soutiennent « l'Etat islamique en Irak et en Syrie » (EIIS).

Le site internet Russkaya Vesna (Printemps russe), qui est sous le contrôle du Kremlin, a publié le 6 septembre sur YouTube une vidéo qui prétend montrer un combattant de l'EIIS en Syrie admettant que les Etats-Unis aident le groupe.

Mais de nombreux détails jettent de sérieux doutes sur l'authenticité de ces confessions.

La vidéo de huit minutes montre un homme les yeux bandés, attaché et à genoux devant un groupe de personnes que la caméra ne montre pas.

Une image tirée d'une vidéo diffusée par un site internet proche du Kremlin montre l'interrogatoire d'un prétendu combattant de l'EIIS. On peut y lire que « les Américains ont fourni de la nourriture et des armes ». Ces sous-titres déforment les réponses et cachent une manipulation évidente. [Archive]

Une image tirée d'une vidéo diffusée par un site internet proche du Kremlin montre l'interrogatoire d'un prétendu combattant de l'EIIS. On peut y lire que « les Américains ont fourni de la nourriture et des armes ». Ces sous-titres déforment les réponses et cachent une manipulation évidente. [Archive]

Une photo de source externe publiée sur la page Facebook officielle de la présidence syrienne le 11 décembre montre le président russe Vladimir Poutine et le président syrien Bachar el-Assad rencontrant des officiers militaires russes sur la base aérienne russe d'Hmeimim, dans la province syrienne de Latakia. [Page Facebook de la présidence syrienne et AFP]

Une photo de source externe publiée sur la page Facebook officielle de la présidence syrienne le 11 décembre montre le président russe Vladimir Poutine et le président syrien Bachar el-Assad rencontrant des officiers militaires russes sur la base aérienne russe d'Hmeimim, dans la province syrienne de Latakia. [Page Facebook de la présidence syrienne et AFP]

Un bombardier B-1B Lancer de l'armée de l'air des Etats-Unis est ravitaillé en carburant par un KC-10 Extender au-dessus d'une zone non identifiée le 14 avril 2018. Ces appareils participaient aux frappes contre des cibles syriennes en réponse à l'utilisation d'armes chimiques. [Sergent d'Etat-major Erica Rodriguez/Commandement central des forces aériennes des Etats-Unis]

Un bombardier B-1B Lancer de l'armée de l'air des Etats-Unis est ravitaillé en carburant par un KC-10 Extender au-dessus d'une zone non identifiée le 14 avril 2018. Ces appareils participaient aux frappes contre des cibles syriennes en réponse à l'utilisation d'armes chimiques. [Sergent d'Etat-major Erica Rodriguez/Commandement central des forces aériennes des Etats-Unis]

Un F-22 Raptor du 94e escadron expéditionnaire de combat de l'armée de l'air des Etats-Unis, de la base d'al-Dhafra aux Emirats arabes unis, survole l'Asie du Sud-ouest le 12 septembre. Les F-22 effectuent des missions air-air et air-sol pour neutraliser les menaces contre les Etats-Unis et leurs partenaires dans la région. Les Etats-Unis ont menacé d'agir si le régime syrien utilise des armes chimiques lors de son offensive à Idlib. [Sergent d'Etat-major Ross A. Whitley/ Commandement central des forces aériennes des Etats-Unis]

Un F-22 Raptor du 94e escadron expéditionnaire de combat de l'armée de l'air des Etats-Unis, de la base d'al-Dhafra aux Emirats arabes unis, survole l'Asie du Sud-ouest le 12 septembre. Les F-22 effectuent des missions air-air et air-sol pour neutraliser les menaces contre les Etats-Unis et leurs partenaires dans la région. Les Etats-Unis ont menacé d'agir si le régime syrien utilise des armes chimiques lors de son offensive à Idlib. [Sergent d'Etat-major Ross A. Whitley/ Commandement central des forces aériennes des Etats-Unis]

Le 12 septembre, des enfants syriens essaient des masques à gaz improvisés à Binnish, dans la province syrienne d'Idlib. Le régime syrien et son allié russe menacent de reprendre Idlib. [Muhammad Haj Kadour/AFP]

Le 12 septembre, des enfants syriens essaient des masques à gaz improvisés à Binnish, dans la province syrienne d'Idlib. Le régime syrien et son allié russe menacent de reprendre Idlib. [Muhammad Haj Kadour/AFP]

Un homme en uniforme militaire qui parle arabe avec un accent syrien mène « l'entretien » avec le soi-disant élément de l'EIIS Suhaib Izzedin al-Zoabi (alias Abou Omar al-Horani) de Deïr al-Bukht, qui s'exprime lui aussi avec un accent syrien.

Il y a une différence frappante entre les propos en arabe et les sous-titres russes fournis par Russkaya Vesna. Ces derniers déforment les réponses et cachent la manipulation évidente qui se déroule dans la vidéo.

L'interviewer commence par une série de questions simples : « quel est votre nom ? », « quel est votre nom de guerre ? », « d'où venez-vous ? ». Le prisonnier marmonne des réponses que l'interviewer répète.

L'interviewer répète sa quatrième question, « Dans quel détachement étiez-vous ? », plusieurs fois et de différentes façons, car le prisonnier semble ne pas comprendre comment y répondre.

Pour commencer, al-Zoabi déclare : « j'étais dans l'EIIS ». L'interviewer répond : « oui, l'EIIS, mais quel groupe exactement ? Qui était le leader de votre groupe ? Qui était l'émir de votre groupe ? »

« Nous étions dans le [détachement] de l'al-Hajar al-Aswad », répond le détenu. L'interviewer répète alors : « mais qui était votre leader à l'al-Hajar al-Aswad ? »

Le détenu ne répond pas, puis l'interviewer perd patience : « c'est quoi, votre problème ? Qui est le leader de votre groupe actuel, qui est l'émir ? »

« L'Irakien [Abou] Bakr al-Baghdadi », indique al-Zoabi, faisant référence au dirigeant de l'EIIS.

« Qui est le leader de votre groupe actuel ? Le groupe dont vous faisiez partie quand on vous a capturé », répète alors l'interviewer.

Une personne hors champ donne la réponse à al-Zoabi, qui semble enfin donner la réponse que l'interviewer souhaite.

« Le commandant de terrain du détachement de l'al-Hajar est Abou Ayoub al-Iraqi », dont le nom est traduit littéralement dans le sous-titre par Abou Bakr al-Iraqi.

« La taille du groupe dans [le désert d'al-Suwayda] est d'à peu près 1 500 activistes, et de 250 dans mon détachement. Les armes sont fournies par les Américains. »

Les questions répétées et les réponses données au détenu n'apparaissent pas dans le texte russe.

Le détenu est manipulé

Dans la seconde série de questions, l'interviewer interroge le prisonnier au sujet de la récente attaque de l'EIIS à al-Suwayda.

« Quel rôle avez-vous joué dans l'attaque », demande-t-il ?

« Notre groupe était composé de kamikazes », répond al-Zoabi. « Nous devions mener des attaques simultanées à al-Suwayda et aux alentours. Un groupe a été envoyé vers Idlib pour filmer une vidéo provocante d'attaques chimiques, pour que l'armée arabe syrienne (le régime) soit accusée. »

Cette réponse donne un récit fréquemment utilisé par le Kremlin pour masquer la responsabilité des attaques chimiques par le régime contre la population syrienne.

Il est important de noter qu'al-Suwayda, qui est dans le sud-est de la Syrie et près de la frontière jordanienne, est à plus de 400 km d'Idlib, qui se trouve dans le nord-est du pays près de la frontière turque.

Un autre exemple de différence entre l'arabe et la traduction russe a lieu au moment où l'interviewer demande à al-Zoabi où il a été formé.

En arabe, il répond : « l'EIIS m'a formé dans le camp de réfugiés d'al-Rukban. »

Mais les sous-titres russes donnent une autre version : « les Américains m'ont formé dans les rangs de l'EIIS dans le camp de réfugiés d'al-Rukban. »

En plus des différences et de la manipulation évidente par les personnes hors champ, le détenu, qui admet avoir intégré l'EIIS pour des raisons financières, est visiblement paniqué, marmonnant pendant presque toute la vidéo.

Les utilisateurs des réseaux sociaux se moquent de la vidéo

De nombreux arabophones et russophones ont mis en doute l'authenticité de la vidéo, s'exprimant sur plusieurs réseaux sociaux pour signaler les erreurs.

Sur YouTube, beaucoup de russophones ont écrit des remarques moqueuses.

« C'est quoi cette mise en scène ? A 1:11 le soldat pose une question et dit au prisonnier quel nom donner », a commenté Abou Bublik.

« Encore une journée de tournage à Ostankino (studio d'une chaîne de télévision d'Etat russe) [...] », a écrit Vova Kopeikin.

« Cela est destiné uniquement à un public [russophone] qui ne comprend pas ce qui se passe derrière la caméra, où [quelqu'un] suggère en arabe ce que [le prisonnier] doit dire », a ajouté Ahmed Hasan.

« La moitié de la traduction est fausse. Je ne serais pas surpris si cette [vidéo] était une mise en scène », a déclaré Ramil Gaifullin.

« La vidéo n'a pas du tout l'air vraie. Comment est-ce qu'il sait qui lui a fourni des armes et de la nourriture », a demandé Pristsilla Tabaki ? « Est-ce qu'ils apportent la nourriture dans les camps d'activistes à bord de camions américains ? [...] C'est de la propagande flagrante. »

La réaction des spectateurs arabophones a été la même.

« Mauvais acteurs, chabihas [terme méprisant désignant le personnel favorable au gouvernement syrien] idiots. Les porcs russes ont appris à mentir auprès du régime et ont utilisé ses mensonges », a écrit Mohammad Su sur Facebook.

« Le détenu n'a pas parlé de ce qu'ils (les Russes) ont utilisé pour lui laver le cerveau. Le détective a oublié de lui demander si c'était du Persil ou de l'Ariel », a demandé Khaled Alsa, mentionnant des produits de lessive ?

« Un mensonge en trois dimensions », a affirmé Abou al-Waleed Albukamali, commentant le même message sur Facebook. « Un élément de l'EIIS formé dans le camp d'al-Rukban, mais qui sait ce que l'Armée syrienne libre et Jabhat al-Nosra prévoient de faire à Idlib. »

L'habitude de la propagande

Cette dernière tentative russe pour calomnier les Etats-Unis peut être considérée comme un moyen de détourner l'attention de l'utilisation d'armes chimiques et d'autres crimes de guerre contre des civils commis par le régime syrien.

Le 11 septembre, le Kremlin a prétendu que des combattants de l'opposition syrienne dans la ville assiégée d'Idlib avaient commencé à filmer une vidéo qui serait présentée au monde entier comme montrant les conséquences d'une soi-disant attaque chimique par le régime, a rapporté l'AFP.

La Russie a utilisé un discours similaire après l'attaque à l'arme chimique perpétrée par le régime syrien en avril à Douma, ayant causé la mort d'au moins 40 civils et l'hospitalisation de plus de 500 autres.

Selon Igor Konashenkov, porte-parole du ministère russe de la Défense, le Royaume-Uni a fait pression sur les Casques blancs pour qu'ils simulent l'attaque chimique.

L'ambassadeur britannique à l'ONU, Karen Pierce, a qualifié les remarques de Konashenkov de « grotesque » et de « mensonge éhonté », ajoutant que ces allégations étaient un produit de « la machine de propagande russe ».

Le 21 août, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont menacé d'agir si le président syrien Bachar el-Assad utilise des armes chimiques dans l'offensive du régime visant à reprendre la province d'Idlib.

« Nous soulignons notre inquiétude quant à la possibilité d'une nouvelle et illégale utilisation d'armes chimiques », ont-ils fait savoir.

« Pour éviter toute confusion, si le régime syrien utilise des armes chimiques, nous répondrons avec beaucoup de force, et ils devraient vraiment bien réfléchir à cela avant de prendre une décision », a déclaré John Bolton, conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis.

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