Plus de 95 000 personnes ont « disparu de force » depuis le début du conflit syrien en mars 2011, la majorité du fait du régime syrien, a révélé le Réseau syrien des droits de l'homme le 30 août.
Ces chiffres sont documentés dans un rapport publié par ce réseau non gouvernemental indépendant qui sert de source principale au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme pour analyser le nombre de morts en Syrie.
Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale définit la disparation forcée comme étant « l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ».
Selon le rapport intitulé « Un tunnel sans fin » du réseau, au moins 95 056 personnes ont disparu de force en Syrie du fait de toutes les parties du conflit.
Le régime syrien est coupable de 85,9 % de ces disparitions, indique le rapport, soit au moins 81 652 personnes, dont 1 546 enfants et 4 837 femmes.
Publié lors de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées, le 30 août, ce rapport affirme que les prisonniers du régime et les personnes ayant disparu de force à cause de lui « sont soumis à des actes de torture extrêmement brutaux et sadiques ».
Entre mars 2011 et août 2018, détaille le rapport, 13 608 personnes sont ainsi mortes sous la torture dans les centres de détention du régime.
Six ans en prison
Nour Burhan al-Huda se tient devant le portrait de son fils Ahmed, qui décore le mur de son appartement dans la ville de Ghazze, dans la vallée de la Bekaa libanaise.
Elle étudie les traits du visage de son fils, priant silencieusement qu'il soit encore en vie.
« Le 9 septembre, cela fera six ans que mon fils est incarcéré dans les prisons du régime syrien », a-t-elle fait savoir à Al-Mashareq.
Ahmed, qui est père de deux enfants, a été arrêté le 9 septembre 2012 à l'âge de 27 ans alors qu'il travaillait sur les terres familiales dans la ville syrienne d'al-Zabadani, a-t-elle raconté.
Depuis ce jour, a-t-elle déclaré, la famille n'a reçu aucune information sur le lieu où il se trouve, « mis à part le fait que sa femme a appris qu'il est encore en vie ».
« Je passe mes journées en espérant qu'il reviendra vers moi et vers sa famille et ses deux fils », a confié al-Huda.
Al-Huda et ses quatre filles vivent à Ghazze depuis sept ans. Son mari, son autre fils et ses deux beaux-fils sont morts dans la guerre syrienne.
À l'occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées le 30 août, elle a participé à une manifestation organisée par le mouvement Familles pour la liberté dans la région de Ghazze-Bekaa.
Les manifestants ont distribué des roses à la mémoire des militants syriens, hommes et femmes, que le régime syrien a fait disparaître de force, et de ceux dont la mort a été récemment confirmée, beaucoup d'entre eux sous la torture.
« Des milliers qui souffrent comme moi »
« Il y a des milliers de gens qui souffrent comme moi », a déclaré al-Huda.
Parmi eux se trouve Hala Abdoul Rahim, qui a déclaré à Al-Mashareq que son mari avait été arrêté le 11 mars 2015, dans la région d'Inshaat à al-Zabadani.
« Mon mari est carreleur, et son seul crime est d'avoir écrit des poèmes où il exprimait son désir de liberté et de démocratie », a-t-elle relaté.
Abdoul Rahim a ajouté que ses quatre enfants et elle-même vivent dans l'espoir qu'ils le retrouveront sain et sauf, et a dit espérer que « tous les détenus seront libérés et que toutes les personnes ayant disparu de force reviendront ».
Elle a essayé de découvrir où il se trouve grâce à des proches restés en Syrie, mais personne n'ose se renseigner sur lui par peur d'être arrêté, a-t-elle rapporté.
L'organisation Familles pour la liberté, crée en février 2017, œuvre pour régler la question des prisonniers et des disparus de force avec plusieurs autres groupes.
L'objectif est de commémorer les militants syriens « que le régime syrien a fait disparaître de force et dont la mort sous la torture a récemment été confirmée », a expliqué Ghada Abou Mesto, membre fondatrice du mouvement.
Le mari d'Abou Mesto a été arrêté le 9 septembre 2012 avec beaucoup d'autres travailleurs alors qu'il cultivait ses champs à Damas, a-t-elle raconté à Al-Mashareq. Elle ne sait toujours pas ce qu'il est devenu.
Faire en sorte que l'on n'oublie pas
Les roses distribuées pendant cette récente manifestation et d'autres semblables « sont censées montrer que nos prisonniers sont des prisonniers de la révolution pacifique », a déclaré Abou Mesto, notant que ceux-ci proviennent de tous les horizons religieux.
Certains sont détenus par le régime syrien, tandis que d'autres ont été enlevés ou emprisonnés par des groupes extrémistes comme « l'État islamique en Irak et en Syrie » (EIIS), a-t-elle précisé.
« Par le biais de notre mouvement, qui comprend des Syriennes des familles des détenus vivant en Europe et au Moyen-Orient, comme au Liban, nous travaillons pour interpeller les décideurs afin qu'ils soutiennent notre cause », a-t-elle ajouté.
Le but est de toujours placer cette question des droits de l'homme au centre des discussions.
Des actions sont en cours pour « déterminer le sort des [détenus], pour faire en sorte que des organisations humanitaires internationales puissent pénétrer dans ces prisons, pour y améliorer les conditions de santé et pour obtenir la libération de prisonniers détenus par toutes les parties », a-t-elle poursuivi.
Le 10 octobre 2017, Familles pour la liberté a lancé à Londres l'initiative du Bus de la liberté. Ce bus va se rendre dans les capitales européennes pendant le mois de septembre pour sensibiliser sur les prisonniers syriens retenus dans les prisons du régime et ailleurs.
Le bus doit rendre visite aux organismes officiels et des droits de l'homme concernés pour leur demander de faire pression sur le régime syrien et d'autres participants du conflit pour que soit révélé le sort des détenus et des prisonniers d'opinion.