Médias

Yémen : la liberté de la presse est « à son point le plus bas » depuis le coup d'État des Houthis

Par Abou Bakr al-Yamani à Sanaa

Des journalistes au travail le 6 mai 2016 à l'aéroport international d'Aden, au Yémen, jour où le premier avion de ligne s'est posé après que l'aéroport a rouvert après des mois de fermeture. Les journalistes yéménites connaissent des conditions difficiles, surtout dans les zones contrôlées par les Houthis. [Saleh al-Obeidi/AFP]

Des journalistes au travail le 6 mai 2016 à l'aéroport international d'Aden, au Yémen, jour où le premier avion de ligne s'est posé après que l'aéroport a rouvert après des mois de fermeture. Les journalistes yéménites connaissent des conditions difficiles, surtout dans les zones contrôlées par les Houthis. [Saleh al-Obeidi/AFP]

Des journalistes yéménites expliquent à Al-Mashareq qu'ils sont en colère contre la façon dont les professionnels des médias sont pris pour cible par les Houthis (Ansarallah) dans les régions du pays sous le contrôle de la milice.

Dans une déclaration du 3 octobre, le Syndicat des journalistes yéménites a demandé la libération de dix journalistes retenus par les Houthis depuis plus de deux ans.

Le syndicat a déclaré avoir appris de sources juridiques que ces dix personnes avaient été renvoyées en procédure pénale spécialisée devant le tribunal de sécurité de l'État.

Le tribunal de sécurité de l'État à Sanaa est contrôlé par les Houthis et est en général utilisé par la milice pour juger des éléments d'al-Qaïda, selon le Comité pour la protection des journalistes, un organisme international de surveillance des droits des médias.

Selon la déclaration du syndicat, le tribunal « refuse leur droit à la défense et n'assure pas les conditions minimales d'un procès équitable ».

La veille, le 2 octobre, des miliciens armés habillés en civils ont pris d'assaut la maison du journaliste Kamel al-Khoudani, l'arrêtant et terrorisant sa famille, cassant des portes et mettant les placards sens dessus dessous, a rapporté le syndicat.

Al-Khoudani travaille pour www.almethaq.net, qui se fait le porte-parole du Congrès général du peuple de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, lequel est allié aux Houthis.

Son arrestation intervient moins d'une semaine après qu'il ait été gracié et libéré le 24 septembre avec d'autres détenus par le Conseil politique suprême contrôlé par les Houthis et Saleh, à l'occasion du troisième anniversaire du coup d'État.

Parmi les prisonniers libérés lors cette amnistie se trouvait le journaliste Abdoul-Raqib al-Jubeihi, qui avait été condamné à mort par le tribunal pénal.

« Quant à la déclaration selon laquelle les milices du coup d'État accordent une amnistie générale à tous les journalistes et ordonnent leur libération, y compris le journaliste al-Jubeihi, le syndicat précise qu'ils ont le droit d'être libres, et que ce n'est pas un privilège accordé par les milices du coup d'État », a indiqué Nabil al-Asidi, membre du conseil d'administration du syndicat, à Al-Sharq al-Awsat.

La liberté de la presse au plus bas

« La liberté de la presse est à son point le plus bas depuis que la milice est entrée dans Sanaa », a affirmé al-Asidi à Al-Mashareq.

Au cours des trois dernières années, a-t-il fait savoir, 23 journalistes ont été tués et 150 ont été enlevés, et 17 d'entre eux sont toujours en détention .

« Une catastrophe a touché la presse au Yémen », a-t-il déclaré. « Les organisations internationales et des droits de l'homme doivent intervenir pour protéger les journalistes des pratiques auxquelles ils sont soumis. »

« Depuis septembre 2014, la pluralité de la presse a été éliminée, et la marge de liberté qui existait s'est évanouie », a rapporté le journaliste Khalid Ahmed.

« Depuis, les journaux gérés par le gouvernement ont cessé de publier, à l'exception d'Al-Thawra, qui est devenu la tribune des Houthis », a-t-il indiqué à Al-Mashareq.

« Tous les journaux d'opinion et les stations radio indépendantes ont cessé de fonctionner, et les sites d'informations et les chaînes de télévision ont migré hors du Yémen », a-t-il déploré.

Al-Ahmed a mis en évidence les actions des Houthis contre les journalistes qui travaillent pour le Congrès général du peuple.

« Depuis ces trois dernières années, les seuls médias encore actifs dans le pays sont ceux qui relaient les idées des Houthis et du parti du Congrès général du peuple, et même les journalistes de ce dernier sont poursuivis et arrêtés par les Houthis. »

« Même les correspondants médiatiques internationaux restés à Sanaa – et ils sont peu nombreux – travaillent dans des conditions très difficiles et ne peuvent pas accomplir librement leurs tâches », a-t-il rapporté.

« Ils sont surveillés de près par les milices houthies », a-t-il ajouté. « Certains travaillent sous un pseudonyme pour éviter que les Houthis ne s'en prennent à eux. »

« Tout cela a eu un impact négatif sur la vie et le travail des journalistes », a déclaré al-Ahmed. « Beaucoup d'entre eux ont été déplacés, et d'autres ont été renvoyés, tandis que d'autres ont été arrêtés. »

« Ils ont tous perdu leurs sources de revenus, notamment car les salaires n'ont pas été versés depuis près d'un an », a-t-il poursuivi. « Telle est la situation actuelle des journalistes. »

« Le métier de la mort »

Thuraya Dammaj, journaliste et membre de la Conférence pour le dialogue national, a décrit sa vocation comme « le métier de la mort » sous le règne des Houthis.

« Le Yémen est toujours classé comme le pire pays en ce qui concerne la liberté de la presse, car le journaliste est devenu l'ennemi n°1 pour cette autorité », a-t-elle fait savoir.

Sous le règne des Houthis, a-t-elle ajouté, les journalistes ont été confrontés à des agressions et des « procès fantoches » se concluant parfois sur une condamnation à mort.

De nombreux journalistes croupissent en prison et se sont vu refuser les droits même les plus basiques, a rapporté Dammaj.

« Beaucoup de journalistes ont quitté leur profession pour se tourner vers [d'autres] métiers pour essayer d'échapper à la brutalité des Houthis et pour gagner leur vie », a-t-elle ajouté.

« Depuis le coup d'État de la milice en 2014, il n'y a plus de marge de liberté pour les journalistes au Yémen, car tous les médias d'opposition ont été fermés, même ceux qui ne s'occupent pas de politique », a relaté à Al-Mashareq le professionnel des médias Moussa al-Nimrani.

« Le matériel des chaînes de télévision satellitaires, des stations de radio locales et des journaux ont été saisis et utilisés par [les milices houthies] pour disséminer leur discours de mobilisation, et elles ont arrêté plusieurs journalistes, tandis que d'autres ont été assassinés dans des circonstances mystérieuses », a-t-il rapporté.

« Les autres ont été contraints de quitter le pays pour chercher la sécurité et du travail, ou d'être déplacés vers des zones libérées, tandis que d'autres ont perdu le feu sacré et se sont tournés vers d'autres métiers », a-t-il conclu.

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