Terrorisme

En Irak, le virus réveille les traumatismes des survivants de l'EIIS

Par l'AFP et Al-Mashareq

Zedan, un patient souffrant d'un trouble de stress post-traumatique, est en consultation médicale au centre de santé mentale au camp de Bajet Kandala pour les déplacés yézidis près de Dohuk, Irak, le 18 novembre. [Florent Vergnes/AFP]

Zedan, un patient souffrant d'un trouble de stress post-traumatique, est en consultation médicale au centre de santé mentale au camp de Bajet Kandala pour les déplacés yézidis près de Dohuk, Irak, le 18 novembre. [Florent Vergnes/AFP]

Pendant une demi-décennie, Zedan souffrait de cauchemars récurrents de « l’État islamique en Irak et en Syrie » (EIIS) envahissant sa ville natale au nord de l'Irak. Le jeune homme yézidi, 21 ans, commençait à peine à se rétablir lorsque le COVID-19 a réveillé son traumatisme.

Zedan avait perdu plusieurs membres de sa famille quand l'EIIS a envahi Sinjar, le coeur sauvage de la minorité religieuses yézidie au nord-ouest de l'Irak.

Les extrémistes ont tué des hommes yézidis, pris les garçons comme des enfants soldats et ont forcé les femmes à subir l’esclavage sexuel .

Zedan et les membres survivants de sa famille ont pris la fuite, se sont réfugiés au camp Bajet Kandala près de la frontière syrienne, où ils sont toujours aujourd'hui.

Bayda Othman, une psychologue de Première Urgence, consulte un patient au centre de santé mentale au camp Bajet Kandala pour les déplacés yézidis près de Dohuk, le 18 novembre. [Florent Vergnes/AFP]

Bayda Othman, une psychologue de Première Urgence, consulte un patient au centre de santé mentale au camp Bajet Kandala pour les déplacés yézidis près de Dohuk, le 18 novembre. [Florent Vergnes/AFP]

Cette photo, prise le 18 novembre, montre une vue du camp Bajet Kandala pour les déplacés yézidis près de Dohuk. [Florent Vergnes/AFP] 

Cette photo, prise le 18 novembre, montre une vue du camp Bajet Kandala pour les déplacés yézidis près de Dohuk. [Florent Vergnes/AFP] 

« Nous étions des fermiers menant une belle vie. Mais l'EIIS est venu», raconte-t-il.

Dans un immeuble préfabriqué abritant la clinique de santé mentale du camp, Zedan a partagé ses traumatismes avec Bayda Othman, une psychologue pour l'ONG internationale Première Urgence.

Zedan parle de la violence de 2014 vaguement comme « des événements ».

Alors que l'ONU affirmequ'ils peuvent constituer quelque chose de plus grave remontant à un génocide .

« J'ai commencé à avoir des cauchemars chaque nuit. Je voyais des hommes en noir venant pour nous tuer», a confié Zedan, disant à Othman qu'il avait tenté plusieurs fois de mettre fin à sa vie.

Il l'a consultée pendant des années, apprenant comment surmonter son trouble de stress post-traumatique (TSPT) à travers des exercices de respiration qu'elle lui avait appris.

Plus tôt cette année, ces crises de paniques nocturnes ont arrêté. Enfin, il peut dormir à nouveau. Mais cela n'a duré que quelques mois.

En mars, l'Irak a déclaré un confinement dans tout le pays dans une tentative de contenir la propagation du nouveau coronavirus (COVID-19).

Zedan s'est effondré.

« Je crains que ma famille attrape le virus ou me le transmette», a-t-il dit. « Cela me hante».

'Retour des cauchemars'

Alors que le confinement se prolonge, le frère de Zedan a perdu son travail dans une papeterie sur le bord du camp.

« Il n'y a plus de revenu pour la famille maintenant. Juste le fait d'y penser me file une crise de panique», a-t-il indiqué. « Les cauchemars sont revenus, et avec eux mon désir de mourir».

Sur les 40 millions citoyens d'Irak, un sur quatre est mentalement fragile, a annoncé l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Mais le pays est en grand besoin de spécialistes de la santé mentale, avec seulement trois pour trois millions d'habitants.

Parler de traumatismes ou problèmes psychologiques est considéré un tabou, et les patients acceptent de le faire à condition d'utiliser seulement leurs prénoms.

Dans les camps à travers l'Irak, qui accueille environ 200.000 personnes déplacés intérieurement (PDI), la pandémie a plongé plusieurs personnes souffrant de problèmes psychologiques en rémission, a expliqué Othman.

« Nous avons observé une résurgence de cas de TSPT, tentatives de suicides et pensées suicidaires», a-t-elle signalé.

En septembre, trois femmes déplacées yézidis se sont suicidées aux camps de Dohuk et Mont Sinjar.

Les trois cas documentés étaient des individus soumis à la violence et l'esclavage sous l'EIIS. En plus, la mort de plusieurs membres de leurs familles aux mains de l'EIIS et leur séjour prolongé aux camps pour déplacés ont aggravé leur souffrance, a souligné Fadel al-Gharrawi, membre de la haute commission irakienne pour les droits de l’homme.

En octobre, il y avait eu trois tentatives de suicide à Bajet Kandala par des personnes déplacées, qui ont indiqué que leurs mouvements à l'extérieur du camp étaient restreints par le confinement, ou dont la situation économique s'est détériorée encore plus.

Une usine de textile qui a licencié les gens en masse, une ferme de pommes de terre qui a fermé, une mercerie trop endettée : le chômage est un point commun entre les patients d'Othman.

« Il conduit à des problèmes financiers, mais aussi une grande perte de l'estime de soi, ce qui ravive le traumatisme», a-t-elle expliqué.

D'après l'organisation internationale du travail (OIT), environ un quart des irakiens qui avaient un emploi avant le confinement ont été licenciés de manière définitive.

Les jeunes sont les plus touchés : 36% des jeunes âgés de 18 à 24 ans qui travaillaient ont été licenciés, selon l'OIT.

'Je me sens toute seule'

Une autre patiente est entrée dans la clinique, ses cheveux étaient couverts par un voile bleu-ciel.

Une fois assise dans un fauteuil en faux cuir, Jamila, dans la quarantaine, a confié qu'elle se sentait aussi déstabilisée par la pandémie.

La survivante yézidie vit dans une tente d'une seule pièce avec son fils et quatre filles.

Mais elle ne se sent pas chez elle.

« J'ai totalement abandonné mes enfants. Je me sens toute seule même si ils sont toujours avec moi. Je les frappe dans mes crises de panique -- je ne savais plus quoi faire», poursuit-elle.

Othman a essayé de consoler Jamila, en lui disant « la haine est le résultat de la tristesse non traitée. Nous nous défoulons sur nos proches, en particulier lorsque nous sentons que nous sommes dévalués -- les hommes s'en prennent aux femmes et les femmes aux enfants».

Fournir des formations professionnelles et des opportunités de travail doit être un élément essentiel de tout programme gouvernemental qui vise à aider les survivants traumatisés, a signalé Layla al-Barazanchi, directrice de Jud, un organisme humanitaire pour le développement et la reconstruction basé à Mossoul, à Al-Mashareq.

Mais le traumatisme n'est pas un problème pour les déplacés seulement, avertissent les spécialistes.

« Avec l'isolation et l'absence d'accès aux soins, les enfants qui avaient vécu un génocide développent des difficultés lorsqu'ils deviennent adultes», a averti Lina Villa, chef de l'unité de santé mentale dans un hôpital dirigé par Médecins sans frontière (MSF) au nord de l'Irak.

« Nous craignons que les taux de suicide augmentent dans les années à venir ».

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