Droits de l'Homme

L'inquiétude grandit pour une militante lauréate d'un prix emprisonnée en Iran

Ardeshir Kordestani

Des gens se rassemblent le 13 juin 2019 devant l'ambassade d'Iran en France pour soutenir l'avocate iranienne des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh et exiger sa libération. [François Guillot/AFP]

Des gens se rassemblent le 13 juin 2019 devant l'ambassade d'Iran en France pour soutenir l'avocate iranienne des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh et exiger sa libération. [François Guillot/AFP]

Plus tôt ce mois-ci, l'éminente avocate et militante des droits de l'homme emprisonnée Nasrin Sotoudeh s'était vu attribuer un prestigieux prix international pour son militantisme.

Âgée de 57 ans, Sotoudeh, jugée pour s'être opposée à la politique de répression des manifestations et du militantisme pacifiques de la République islamique, avait remporté le 8 octobre le prix 2020 de la Right Livelihood Foundation, basée à Stockholm.

Ce prix, créé en 1980, est décerné chaque année pour « honorer et soutenir ceux qui apportent des réponses pratiques et exemplaires aux difficultés les plus urgentes auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui », selon le site Internet de la fondation.

Trois autres militants originaires des États-Unis, du Nicaragua et de Biélorusse ont également remporté le prix cette année.

Nasrin Sotoudeh en permission de sortie de prison sur une photo non datée. [Photo de Borna News]

Nasrin Sotoudeh en permission de sortie de prison sur une photo non datée. [Photo de Borna News]

Avant de remporter le prix, Sotoudeh avait entamé une grève de la faim avec plusieurs autres prisonniers, pour attirer l'attention sur les conditions de vie des prisonniers en Iran.

Cette action avait pour but de protester contre la négligence du pouvoir judiciaire quant à la propagation du nouveau coronavirus (COVID-19) dans les prisons surpeuplées d'Iran.

Près de 50 jours après le début de sa grève de la faim, elle a été transférée à l'hôpital en raison d'une extrême faiblesse et de palpitations cardiaques, et est restée en soins intensifs pendant trois jours.

Après que le prix de la Right Livelihood Foundation eut attiré l'attention sur sa cause, elle a, selon des informations, accepté de se réalimenter.

La vie de Sotoudeh « est en danger »

Sotoudeh a été arrêtée en juin 2018 et transférée à la tristement célèbre prison Evin de Téhéran. En mars 2019, elle a été condamnée à 38 ans de prison et 148 coups de fouet pour de prétendus « crimes contre la sécurité » qui n'ont pas été complètement définis.

Son mari, Reza Khandan, a fait l'objet de harcèlements judiciaires en représailles pour avoir communiqué publiquement sur son cas, selon Front Line Defenders, un organisme basé à Dublin qui a pour but la protection les défenseurs des droits de l'homme en danger.

Selon Khandan, Sotoudeh a été accusée « d'enflammer l'opinion publique, de promouvoir la débauche et d'agir contre la sécurité de la République islamique, ainsi que d'autres accusations portées à l'origine par le ministère iranien du Renseignement ».

Sotoudeh n'a pas quitté Evin après son séjour à l'hôpital.

Mercredi 21 octobre, Khandan a fait savoir qu'elle avait été transférée dans un centre de détention pour femmes hors de Téhéran, au lieu de recevoir les soins hospitaliers dont elle a besoin.

« Nasrin m'a appelé hier pour me dire qu'elle avait été transférée directement [de la prison d'Evin] à celle de Qarchak », à plus de 30 km de là, a-t-il rapporté à l'AFP.

« Nous nous attendions à ce qu'elle soit envoyée à l'hôpital pour une angiographie », comme l'avait décidé « la commission médicale de la prison d'Evin », a-t-il précisé.

Michelle Bachelet, responsable des droits de l'homme des Nations unies, a exprimé le 6 octobre sa profonde inquiétude face à la détérioration de la situation des militants des droits de l'homme, des avocats et des prisonniers politiques détenus en Iran suite à la crise du coronavirus.

« Les personnes détenues uniquement pour leurs opinions politiques ou d'autres formes de militantisme en faveur des droits de l'homme ne devraient pas être emprisonnées, et ces prisonniers ne devraient certainement pas être traités plus durement ou exposés à des risques plus importants », a-t-elle affirmé.

« J'ai très peur que la vie de Nasrin Sotoudeh soit en danger », a déclaré Bachelet.

Incohérence judiciaire

Sotoudeh est l'une des quinze militants éminents qui purgent de longues peines pour avoir milité en faveur des droits de l'homme en Iran.

Narges Mohammadi, ancienne journaliste et militante des droits de l'homme, a été libérée le 8 octobre dernier en vertu de la disposition de « clémence islamique » du système judiciaire. Sotoudeh et Mohammadi sont toutes deux mondialement connues pour leur militantisme.

Mohammadi avait été emprisonnée après avoir rencontré à Téhéran en 2014 la Haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'époque, Catherine Ashton.

Alors pourquoi Mohammadi a-t-elle été libérée, alors que Sotoudeh reste en prison ?

Selon le journaliste américain Shahin Mohammadi (pas de lien de parenté avec Narges), « la libération de Narges pourrait avoir été motivée par le désir du chef de la magistrature Ebrahim Raisi de se présenter comme un réformateur des condamnations en vertu de la loi islamique iranienne ».

Raisi a pris ses fonctions après avoir promis des réformes, a rapporté Mohammadi à Al-Mashareq.

Il est à noter que Narges a été arrêtée sur la base des accusations du ministère du Renseignement, a-t-il indiqué. C'est pourquoi « sa libération pourrait être temporaire, pour des raisons de propagande ».

« Elle pourrait être à nouveau emprisonnée si elle dit quelque chose qui déplaît au régime. »

Le bilan du régime iranien en matière de réponse aux pressions dans les affaires judiciaires est incohérent. Les deux dernières décennies montrent qu'il est beaucoup plus enclin à être indulgent envers les prisonniers étrangers, notamment occidentaux, qu'envers ses propres citoyens militants.

En 2009, par exemple, le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) avait arrêté trois randonneurs américains pour avoir franchi la frontière entre la région kurde d'Irak et la province du Kurdistan iranien.

Ils avaient tous trois été libérés entre 2010 et 2011, suite aux pressions exercées par les États-Unis.

En revanche, l'Iran a exécuté en septembre le champion national de lutte Navid Afkari, en dépit des pressions internationales visant à commuer sa peine.

En ce qui concerne le processus décisionnel général de la République islamique, « le régime analyse les coûts et les bénéfices politiques », a expliqué à Al-Mashareq un ancien analyste de la marine iranienne qui a demandé à rester anonyme.

Le système judiciaire iranien fait preuve de clémence envers les militants nationaux dans les rares cas où il estime que les coûts sont supérieurs aux bénéfices, a-t-il conclu.

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