Jetant tout son poids politique derrière le régime iranien dans l’épreuve de force relative à l’embargo des Nations unies sur les armes qui expire ce mois-ci, le Kremlin a écarté la menace des sanctions américaines et des tentatives faites par Washington pour isoler l’Iran, en affirmant qu’il est prêt à commercer avec Téhéran.
« De nouvelles opportunités apparaîtront dans notre coopération avec l’Iran après que le régime spécial imposé par la Résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies aura expiré le 18 octobre », a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergei Ryabkov à l’agence de presse Interfax le 22 septembre.
Fin août, le vice-Premier ministre russe Youry Ivanovich Borisov avait indiqué que l’Iran était intéressé par l’achat de matériel militaire russe une fois levé l’embargo sur les armes.
Washington a déclaré qu’il cherchera à empêcher l’Iran d’acheter des chars chinois et des systèmes de défense aérienne russes, et réapplique pratiquement l’ensemble des sanctions des Nations unies contre l’Iran levées en vertu de l’accord nucléaire de 2015 signé avec Téhéran.
S’exprimant le 24 septembre aux côtés du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif en visite dans le pays, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov avait écarté ces menaces, et exprimé l’espoir que d’autres pays coopérant avec l’Iran les suivraient.
Des alliés inconstants
Mais la décision du Kremlin de se ranger du côté de Téhéran sur cette question ouvre la porte à des dommages potentiellement irréparables pour les intérêts de la Russie au Moyen-Orient et aura un impact dévastateur sur l’économie intérieure de la Russie, expliquent les observateurs.
La question est de savoir dans quelle mesure la Russie peut continuer à soutenir l’Iran et à faire peser le poids d’un tel soutien sur sa propre économie.
Le soutien de la Russie à l’Iran est « temporaire et subjectif », a déclaré l’économiste iranien Ahmad Tavakolabadi.
Moscou n’est pas opposé à d’autres sanctions contre l’Iran, a-t-il indiqué. La seule exception concerne cet embargo sur les armes.
La Russie s’est opposée à l’extension de l’embargo sur les armes des Nations unies contre l’Iran parce qu’elle ne souhaite pas perdre un acheteur important de ses vieilles armes, a-t-il expliqué à Al-Mashareq.
La Russie a certes toujours promis de vendre des armes sophistiquées à l’Iran et a facturé des armes modernes au régime, a poursuivi Tavakolabadi, mais en réalité, Moscou a vendu à Téhéran de vieilles armes et retardé le transfert de technologies avancées à l’Iran.
L’influence du Kremlin en Iran va au-delà du soutien militaire et s’étend de plus en plus au champ politique, a-t-il précisé.
Ainsi, pour venir en aide au président syrien Bashar el-Assad, l’Iran avait autorisé la Russie à lancer des missiles visant la Syrie depuis la mer Caspienne. Mais après avoir anticipé dans quelle mesure les liens de la Russie avec Téhéran pourraient porter atteinte aux relations entre la Russie et les États-Unis, les dirigeants russes n’ont pas hésité à choisir ces derniers et non l’Iran, a continué Tavakolabadi.
« Le rôle des Russes dans l’achèvement de la centrale nucléaire de Bushehr est un exemple de la manière dont la Russie entretient des liens avec l’Iran », a-t-il poursuivi.
Le Kremlin ne tient compte que de ses intérêts financiers immédiats, a-t-il indiqué. C’est la raison pour laquelle la Russie a mis un coup d’arrêt à la construction de cette centrale en Iran lorsqu’ils rencontrèrent des aspects du plan auxquels l’administration américaine était opposée.
L’achèvement de la première phase de ce projet a ainsi pris quasiment 28 ans, a-t-il ajouté.
Pressions des sanctions sur l’économie
Ces dernières années, Téhéran a accru sa dépendance envers le soutien de la Russie, car les sanctions américaines continuent d’exercer une forte pression sur une économie iranienne en chute libre.
Mais alors que l’économie russe est également affaiblie, il est difficile de savoir combien de temps encore le Kremlin sera disposé à risquer son ancrage fragile au Moyen-Orient et à accentuer les difficultés financières intérieures pour le salut de l’Iran.
Après avoir touché le fond en 2015 et 2016, le Produit intérieur brut (PIB) de la Russie a lentement augmenté, atteignant 1,64 billion de dollars en 2019, selon la Banque mondiale.
Le PIB iranien n’était que de 445 milliards de dollars en 2017, représentant 0,37 % de l’économie mondiale.
Par contraste, le PIB des États-Unis était de 21,44 billions de dollars en 2019, près de 13 fois la taille de l’économie de la Russie, et représentait 17,65 % de l’économie mondiale.
En se rangeant du côté de Téhéran dans la confrontation sur l’embargo sur les armes des Nations unies, la Russie fait courir à ses citoyens et à ses entreprises le risque de sanctions américaines et aura très peu de levier économique pour protéger l’Iran, estiment les analystes.
Avec le peu d’avantages qu’il y a à soutenir Téhéran, autre qu’une esbroufe sur la scène mondiale, il est peu vraisemblable que le Kremlin continue d’entretenir des liens étroits avec l’Iran sur le long terme.
Influence des relations russo-arabes sur les relations entre Moscou et Téhéran
L’évolution du soutien militaire de la Russie à l’Iran dépend également d’un autre aspect : les pays arabes s’éloignent progressivement de la Russie et se rapprochent des États-Unis.
Confrontés ces dernières années à des menaces persistantes du régime iranien, les pays du Golfe ont commencé à renforcer leurs moyens militaires avec l’aide des États-Unis.
« Historiquement, les relations de l’Iran et des pays arabes avec la Russie ont été conflictuelles », a expliqué Abdollah Kaboli, spécialiste des relations entre l’Iran et les pays arabes.
« Chaque fois que les pays arabes se sont rapprochés de la Russie, l’Iran a pris ses distances d’avec Moscou, et lorsque l’Iran s’est rapproché de la Russie, les pays arabes s’en sont écartés », a-t-il expliqué à Al-Mashareq.
Les préférences de politique étrangère des pays du Golfe et leur penchant pour un élargissement des relations avec les États-Unis modifient la politique régionale dans son ensemble, a ajouté Kaboli.
Cette tendance conduira à un plus fort isolement de l’Iran dans la région, a-t-il poursuivi.
Les entreprises et les citoyens russes qui violeraient les sanctions imposées à l’Iran seront immédiatement visés par des sanctions de la part du gouvernement américain, a-t-il précisé.
De plus, ces sanctions entraîneront un effet domino, ce qui implique que d’autres entreprises et d’autres pays seront à leur tour empêchés de faire des affaires avec ces entreprises russes.
Il est clair, a conclu Kaboli, que même si elle souhaite soutenir l’Iran dans le contexte des sanctions américaines, la Russie a peu de moyens de résister aux États-Unis.