Droits de l'Homme

Un livre sur les prisonniers morts sous la torture dans les prisons du régime en Syrie

Waleed Abou al-Khair au Caire

L'auteure syrienne Ghada Bakir lors d'une séance de dédicace à Idlib pour son nouvel ouvrage intitulé « Quand les prisons parlent », qui raconte la vie des prisonniers morts sous la torture dans les prisons du régime syrien. [Photo fournie par Ghada Bakir]

L'auteure syrienne Ghada Bakir lors d'une séance de dédicace à Idlib pour son nouvel ouvrage intitulé « Quand les prisons parlent », qui raconte la vie des prisonniers morts sous la torture dans les prisons du régime syrien. [Photo fournie par Ghada Bakir]

Dans son nouveau livre « Quand les prisons parlent », l'auteure syrienne Ghada Bakir raconte l'histoire des habitants d'Idlib emprisonnés par le régime syrien et morts sous la torture en prison.

Ce livre recense les noms des 600 prisonniers morts sous la torture dans les centres de détention de la seule province d'Idlib, et documente plusieurs de leurs histoires.

Commençant dès le début du conflit syrien, il raconte l'arrestation de ces détenus et comporte des entretiens avec les familles de ceux qui sont morts lors de leur incarcération.

Au cours d'un grand entretien, Bakir a expliqué à Diyaruna que l'une des principales difficultés rencontrées lorsqu'elle travaillait sur cet ouvrage avait été le refus de certaines familles d'accepter que leurs fils fussent morts.

Un vieil homme lit « Quand les prisons parlent », un nouveau livre de l'auteure syrienne Ghada Bakir, qui raconte l'histoire des détenus morts sous la torture dans les prisons du régime syrien. [Photo fournie par Ghada Bakir]

Un vieil homme lit « Quand les prisons parlent », un nouveau livre de l'auteure syrienne Ghada Bakir, qui raconte l'histoire des détenus morts sous la torture dans les prisons du régime syrien. [Photo fournie par Ghada Bakir]

Plusieurs d'entre elles s'accrochaient encore à l'espoir qu'ils étaient encore vivants et qu'ils reviendraient un jour, a-t-elle continué.

Diyaruna : Présentez-nous brièvement ce livre.

Ghada Bakir : L'idée de ce livre date du début de la révolution syrienne en 2012, lorsque le martyr Ahmed Daas, un jeune manifestant pacifique originaire de Saraqib, avait été arrêté à un poste de contrôle du régime et de la milice shabiha, qui occupait la raffinerie de Saraqib et l'avait transformée en un centre de torture.

Ce jeune, âgé d'une vingtaine d'années, y avait été torturé à mort, et c'est un corps mutilé qui avait quitté le centre.

À la même époque, Ahmed Yasser Haj Ahmad, également originaire de Saraqib, avait été arrêté et transféré à la raffinerie d'Idlib puis à Damas, où il avait également été torturé à mort et où son corps mutilé avait, lui aussi, quitté le centre.

J'ai conçu l'idée de ce livre à cette époque, et ai cherché à raconter l'histoire des martyrs morts sous la torture dans ces centres de détention, en racontant leurs vies de l'enfance au martyr.

Diyaruna : Pourquoi maintenant ?

Bakir : Par suite de circonstances personnelles, j'avais arrêté de travailler sur ce livre. J'ai repris cette année, après que le régime eut publié les listes de noms des personnes mortes sous la torture, après que leurs familles eurent attendu leur libération pendant des années, en plus des photos que [le photographe] « César » avait pu faire sortir clandestinement des prisons d'al-Assad montrant les corps mutilés des martyrs, seulement identifiés par un numéro sur le front. Je voulais faire de ces corps des êtres humains qui avaient eu des vies, des rêves et des aspirations, et montrer qu'ils n'étaient pas que de simples numéros.

Diyaruna : Le livre indique que le travail documentaire a été fait par une équipe. Parlez-nous d'elle et de la distribution du livre.

Bakir : Le travail a été entrepris par le Centre al-Baraa de soutien psychologique et de réinsertion et le magazine turc Zaytoun.

Le travail a été divisé entre ces deux équipes. Celle d'al-Baraa, composée de moi-même, de Noureddin Abbas et Hala Hajj Ali, a effectué les visites aux familles des martyrs, obtenu les informations nécessaires sur ces derniers, de leur enfance à leur mort, et des photographies d'eux, et a écrit leur histoire.

L'équipe de Zaytoun, composée de Raed Razouk et Waad al-Balkhi, a corrigé les histoires et imprimé le livre à la maison d'édition Noon en Turquie.

Ce livre a été présenté au grand public au Salon du livre d'Istanbul, et plusieurs exemplaires ont été distribués en Turquie ; le reste a été apporté en Syrie, où l'équipe du centre al-Baraa les a distribués à Idlib et dans ses régions rurales. Une version électronique a récemment été mise en ligne, pour la rendre accessible à tous ceux qui souhaitent le lire.

Diyaruna : Vous vous êtes surtout intéressée à la région d'Idlib. Pourquoi ? Projetez-vous d'étendre les recherches et d'inclure d'autres régions ?

Bakir : Nous avons limité notre travail à la province d'Idlib et à ses régions rurales parce que c'est la seule région dans laquelle nous pouvions nous déplacer et interroger les familles, car le régime n'y dispose d'aucune présence. Nous redoutions d'être arrêtés si nous nous arrêtions à des postes de contrôle tenus par le régime.

Nous espérons que ce livre sera une première étape dans la documentation des histoires de tous les martyrs dans toutes les provinces syriennes.

Diyaruna : Combien d'habitants d'Idlib ont été emprisonnés et combien d'entre eux sont morts sous la torture ?

Bakir : Il n'existe malheureusement pas de chiffres précis du nombre de détenus originaires d'Idlib, parce qu'il n'existe aucun centre de documentation.

Des efforts ont été entrepris pour les répertorier, mais ils n'ont pu être achevés parce que la plupart des bureaux locaux ont été visés par des frappes aériennes et tout a été perdu.

Pour notre livre, nous avons pu, avec l'aide de certaines sources, documenter 600 cas mentionnés dans l'index, et inclure les histoires que nous avions enregistrées, mais le nombre [réel] de détenus est bien supérieur.

Diyaruna : Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant ce processus de documentation ? Et comment les familles ont-elles accueilli vos questions ?

Bakir : L'équipe a dû faire face à plusieurs difficultés dans son travail, notamment le refus de certaines familles de fournir des informations sur leurs fils, de peur que le régime n'entre dans Idlib et que la shabiha ne mette leur vie en péril.

Certaines ont également refusé de répondre dans l'espoir que ces rapports sur le martyr de leurs enfants ne soient pas vrais et qu'ils sortent de prison ; et certaines encore refusaient de croire au martyr de leurs fils malgré le fait que leur nom figurait sur ces listes de martyrs remises par le régime dans certains quartiers d'Idlib.

Est venu s'y ajouter la difficulté de se déplacer dans la campagne d'Idlib et les longues distances à parcourir quotidiennement, la difficulté de s'entretenir avec les civils sur des sujets si délicats et le fait de se remémorer des événements si douloureux en parlant des vies des martyrs.

Ajoutez-y le fait que certaines familles comptaient plus d'un martyr en détention, ce qui rendait le dialogue très douloureux à la fois pour eux et pour nous.

Mais malgré toutes ces difficultés, de nombreuses familles furent heureuses de voir que nous enquêtions sur leurs fils, et exprimèrent le désir de parler pour que l'on n'oublie pas.

Une autre difficulté a tenu au fait que nous devions boucler ce travail dans un temps limité, au maximum un mois et demi, et parler d'un nombre donné de martyrs, ce qui nous empêchait de raconter trop d'histoires. Malgré le grand nombre de prisonniers originaires de la province d'Idlib et de ses régions rurales, le format du livre nous empêchait de développer davantage, un obstacle que nous avons tenté de contourner en répertoriant les noms des martyrs à la fin du livre.

Diyaruna : Disposez-vous d'autres informations sur ceux qui demeurent en détention ?

Bakir : Il n'y a aucune information sur les détenus qui se trouvent encore dans les prisons du régime. Certaines familles nous ont dit qu'elles étaient sans nouvelles de leurs fils depuis plus de quatre ou cinq ans. Il est impossible de savoir dans quelles prisons ils sont détenus, malgré les efforts de leurs familles pour obtenir ne serait-ce que la plus petite information les concernant. Par ailleurs, les [diverses] branches [de l'appareil] sécuritaire nient qu'ils se trouvent dans des centres de détention.

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