Réfugiés

Des passages frontaliers illégaux provoquent l'inquiétude au Liban

Par Nohad Topalian à Beyrouth

Des réfugiés syriens traversent un passage illégal les amenant au village libanais d'al-Suwairi à pied. [Al-Mashareq]

Des réfugiés syriens traversent un passage illégal les amenant au village libanais d'al-Suwairi à pied. [Al-Mashareq]

Jusqu'à ces dernières années, Jamil Amer faisait paître son troupeau dans les zones extérieures du village libanais frontalier d'al-Suwairi sans avoir peur pour sa sécurité.

Mais ces jours-ci, a-t-il confié à Al-Mashareq, il vit dans la peur de se faire tirer dessus par les passeurs qui guident les réfugiés syriens pour franchir la frontière par un passage illégal proche de ses terres.

À son point le plus élevé, la ferme d'Amer, située dans les zones accidentées et isolées d'al-Suwairi, se trouve sur la frontière avec la Syrie, juste devant le passage de Jdaidet Yabous.

« À cause de l'emplacement de ma ferme sur des terres agricoles [proches] d'un passage frontalier illégal, je peux voir des Syriens passer le jour et la nuit le long d'une route de terre à côté de ma ferme », a-t-il raconté.

Les forces libanaises patrouillent dans la zone accidentée le long de la frontière syrienne. Certains Syriens s'étant vu refuser l'accès au Liban aux passages officiels entrent dans le pays à pied. [Al-Mashareq]

Les forces libanaises patrouillent dans la zone accidentée le long de la frontière syrienne. Certains Syriens s'étant vu refuser l'accès au Liban aux passages officiels entrent dans le pays à pied. [Al-Mashareq]

Des Syriens attendent l'arrivée d'un convoi transportant leurs proches près du passage frontalier d'al-Masnaa le 28 décembre. [Hasan Jarrah/AFP]

Des Syriens attendent l'arrivée d'un convoi transportant leurs proches près du passage frontalier d'al-Masnaa le 28 décembre. [Hasan Jarrah/AFP]

Chaque jour, entre 50 et 200 personnes, dont des femmes, des enfants et des jeunes, fuient la Syrie en passant par la passe montagneuse, a-t-il rapporté, « et très peu d'entre elles sont armées ».

Le passage n'est pas sécurisé, a-t-il indiqué à Al-Mashareq, notant que le cadavre d'une personne assassinée avait été retrouvé sur la montagne, et que plusieurs filles avaient été violées le long de la route alors que leurs mères regardaient sans pouvoir faire quoi que ce soit.

« La contrebande a énormément augmenté dernièrement », a-t-il poursuivi. « J'ai tenté de les empêcher de passer sur mes terres, mais des gens ont tiré des balles sur ma ferme pendant la nuit. »

Depuis cet incident, a-t-il ajouté, il essaie de ne pas interférer avec ce que font les passeurs pour éviter de mettre en danger trois de ses fils, qui sont dans l'armée.

Les routes montagneuses de contrebande sont utilisées depuis le début de la guerre en Syrie, a fait savoir Amer, lorsqu'elles servaient à faire passer du combustible de chauffage et de la nourriture entre les deux pays.

Passes montagneuses non surveillées

Malgré les efforts des forces de sécurité pour contrôler ces passes, certaines restent majoritairement sans surveillance en raison du terrain difficile et boisé, comme c'est le cas pour le passage illégal d'al-Thalath à al-Suwairi et celui de Majdal Anjar.

Pour tenter de sévir contre les passages illégaux, l'armée effectue des patrouilles sur les routes de ces deux villes pour répondre à toute activité suspecte.

Selon des habitants locaux, la majeure partie des activités illégales est menée par des contrebandiers syriens, aidés par plusieurs jeunes venus des villes frontalières du Liban, qui facilitent activement le processus.

L'un d'entre eux, un jeune homme d'à peine moins de trente ans, s'est entretenu avec Al-Mashareq sur son travail de facilitateur, utilisant le pseudonyme Mohammed pour rester anonyme.

« Je n'ai pas de travail depuis deux ans, et je ne peux pas en trouver un qui me garantisse un revenu régulier », a-t-il indiqué. « Alors quand on m'a proposé de faciliter le passage illégal de Syriens dont les documents d'identification ne sont pas acceptables pour entrer au Liban, j'ai accepté. »

Il n'est pas seul dans son travail, a-t-il précisé.

« Je touche entre 200 et 1 000 dollars en fonction du nombre de personnes à faire passer », a-t-il expliqué. « Je me contente de m'assurer que la route des passeurs peut être utilisée en toute sécurité, puis je les rejoins à un endroit du côté libanais pour les amener sur la route principale, où les attend un chauffeur de taxi, la plupart du temps syrien. »

Les Syriens qui ne sont pas acceptés au poste-frontière officiel d'al-Masnaa font souvent 200 mètres à pied en arrière et prennent des routes de montagneuses accidentées pour entrer au Liban près d'al-Suwairi, et parfois à Majdal Anjar, a-t-il poursuivi.

Les réfugiés qui arrivent au Liban par ces routes « viennent de toutes les régions de Syrie, même si actuellement la plupart viennent de Deir Ezzor et d'al-Raqqa, malgré la distance », a-t-il précisé.

Mohammed a déclaré qu'il sait que cette activité « lui fait courir le risque d'être poursuivi par les responsables de la sécurité » et il espère pouvoir trouver du travail qui lui évitera ce risque.

Recrudescence du passage de clandestins

Alors que les forces libanaises effectuent des patrouilles en ville pour détecter et mettre fin aux opérations de contrebande, le chef de la municipalité d'al-Suwairi, Hussein Ali Amer, a expliqué que la plupart des réfugiés arrivent dans la zone grâce aux passages illégaux de la ville.

« Les personnes entrées illégalement sont des Syriens dont les papiers d'identification ont été tamponnés au poste de contrôle de la Sûreté générale à Jdaidet Yabous lorsqu'elles ont quitté la Syrie, mais se sont vu refuser l'entrée sur le territoire libanais au poste-frontière d'al-Masnaa », a-t-il précisé à Al-Mashareq.

Dans certains cas, les passeurs syriens les font arriver au Liban en utilisant trois chemins de terre illégaux et des terrains agricoles, a-t-il raconté.

Avant le début de la guerre en Syrie, ces passages étaient utilisés pour la contrebande de combustible de chauffage, a-t-il indiqué, ajoutant qu'il est « impossible de les fermer, car ce sont des chemins de terre montagneux accessibles uniquement à pied ».

« Dernièrement, nous entendions parler chaque jour de dizaines de personnes entrées illégalement par ces passages », a déclaré Amer. « Mais récemment, leur nombre a augmenté , alors que des informations circulent sur la situation sécuritaire en Syrie, et ce nombre est souvent de plusieurs centaines par jour, qui arrivent par vagues. »

Amer a souligné que la distance séparant le poste de contrôle de Jdaidet Yabous côté syrien et la ville libanaise d'al-Suwairi n'est que de 40 minutes à pied.

Les passeurs « connaissent la zone en détail et tracent des cartes que les [réfugiés] doivent suivre, et ils leurs fournissent les numéros de téléphone de chauffeurs de taxi et de passeurs qui les attendront pour les transporter à l'autoroute internationale ou à leur destination au Liban, en échange d'une somme en argent liquide préalablement convenue », a-t-il détaillé.

« Bien que l'armée patrouille dans la ville, il est difficile de limiter la contrebande, car le terrain montagneux est très ouvert », a-t-il déclaré.

Activités de contrebande à Majdal Anjar

Le passage illégal de Syriens vers le Liban ne se limite pas à al-Suwairi, et la ville frontalière de Majdal Anjar connaît elle aussi une activité de contrebande, bien qu'à un rythme moins soutenu.

Pour réduire cette activité, le 4e régiment d'intervention de l'armée libanaise a mis en place des fortifications, a indiqué Saeed Hussein Yassin, chef de la municipalité de Majdal Anjar.

« Malgré ces dispositifs, nous voyons et nous entendons parler de passages de [réfugiés] par des passeurs syriens et certains jeunes de la région », a-t-il rapporté à Al-Mashareq.

Les habitants de Majdal Anjar et d'al-Suwairi « n'aiment pas les passages illégaux de Syriens via nos routes de terre, car cela met à mal notre réputation, alors que nous avons accueilli des réfugiés dès le début de la crise syrienne », a conclu Yassin.

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