L’annonce récente du président Hassan Rohani selon laquelle 25 millions d’Iraniens pourraient avoir été infectés par le coronavirus, un chiffre considérablement plus élevé que le décompte officiel du pays, a provoqué l’émoi et la stupeur chez beaucoup.
Cette déclaration choc a été faite cinq mois après que l’Iran a annoncé ses premiers cas de COVID-19, avec la mort de deux personnes dans la ville sainte chiite de Qom.
Cette situation a été aggravée par le fait que Rohani a suggéré que son gouvernement espère désormais surmonter la pire épidémie du Moyen-Orient grâce à l’immunité collective.
« Nous estimons que, jusqu’à présent, 25 millions d’Iraniens ont été infectés par ce virus », a déclaré Rohani lors d’une réunion du groupe de travail sur le virus samedi 18 juillet.
Citant les résultats d’une étude du ministère de la Santé, il a averti que « 30 à 35 millions de personnes supplémentaires pourraient être infectées » à l’avenir, et a ajouté que le pays n’avait « pas encore atteint l’immunité collective ».
Ce nombre est bien plus élevé que les 15 millions de cas enregistrés dans le monde, et nettement supérieur à celui de certains pays durement touchés tels que les États-Unis et le Brésil.
Il est également près de 100 fois pire que le chiffre officiel d’infection de l’Iran de plus de 270 000 cas publié à l’époque par le ministère de la Santé.
Le bilan iranien a continué d’augmenter depuis, le virus ayant officiellement fait 221 victimes entre mercredi 22 juillet et jeudi 23, et les infections ont augmenté de 2621.
Depuis qu’il a annoncé les estimations très élevées de samedi, Rohani ne les a plus mentionnées, et a encore moins élaboré.
Mais beaucoup de fonctionnaires ont depuis fourni leurs propres explications, certains affirmant que les 25 millions ne correspondent pas à des cas d'infection, mais à tous ceux qui ont été « exposés » au COVID-19 et qui pourraient maintenant avoir un certain niveau d’immunité.
« Erreur stratégique »
Le vice-ministre iranien de la Santé pour la recherche et la technologie a déclaré que ce chiffre était une estimation basée sur des recherches menées en mars « sur environ 10 000 personnes dans 13 à 14 provinces ».
« Il a été prouvé jusqu’à présent que l’immunité de ces personnes est stable, ce qui signifie qu’elles sont comme celles vaccinées », a déclaré lundi Reza Malekzadeh à l’agence de presse étatique IRNA.
Il n’a pas nommé les provinces où ces tests avaient eu lieu. L’Iran compte plus de 80 millions d’habitants.
Un autre vice-ministre de la Santé, Alireza Raisi, a déclaré dans un entretien télévisé que ce chiffre de 25 millions avait été obtenu à partir de tests sérologiques.
Ces tests permettent de détecter les anticorps et de savoir si un individu a été exposé à un type de coronavirus, et pas seulement au COVID-19, a-t-il précisé mardi.
« En Iran et dans le monde, diverses études ont été réalisées sur le COVID-19, et ce chiffre de 25 millions est le résultat de l’une de ces études et ne devrait pas être considéré comme autre chose », a-t-il indiqué.
Raisi a également nié que l’Iran cherchait désormais à vaincre le virus grâce à l’immunité collective.
« L’immunité collective ne fait absolument pas partie de la politique [de l’Iran], et les pays qui l’ont pratiquée ont fini par le regretter », a-t-il affirmé.
« Il n’y aura pas d’immunité tant que nous n’aurons pas de vaccin. »
Répondant à une suggestion selon laquelle le fait de mentionner ces chiffres et l’immunité collective pourrait alarmer le public, Raisi a déclaré, dans une critique voilée, que « souligner de tels chiffres est une erreur stratégique ».
Pourtant, selon le Dr Emma Hodcroft, épidémiologiste moléculaire à l’université de Bâle, l’estimation d’un « taux de séropositivité de 30 % à l’échelle nationale à partir des chiffres donnés serait beaucoup plus élevé que ce que nous avons trouvé dans n’importe quel autre pays ».
Dans un e-mail envoyé à l’AFP, elle a fait remarquer que des chiffres aussi élevés ne se trouvaient que dans des « zones très touchées », comme la ville de New York, qui est beaucoup plus petite et plus densément peuplée que l’Iran.
Hodcroft a également mis en garde contre l’extrapolation des chiffres des tests d’anticorps à l’ensemble de la population, surtout si ces tests sont effectués dans des régions très touchées du pays.
« Effrayant »
Nombreux sont ceux qui, dans les rues de Téhéran, semblent perdus ou troublés par les statistiques du président et se plaignent de ne pas avoir reçu d’explication.
« De la manière dont Rohani l’a dit, cela signifie que presque toute la population iranienne » a été ou sera infectée, a déclaré un homme d’affaires de 50 ans se faisant appeler Achrafi.
« Alors le respect des protocoles sanitaires n’a servi à rien », a-t-il demandé, affirmant que les chiffres étaient « effrayants ».
Il s’est également plaint que c’est le ministre de la Santé, Said Namaki, qui aurait dû expliquer les chiffres et toute évolution vers l’immunité collective.
Ashkan Daliri, un coiffeur d’une vingtaine d’années, a déclaré qu’il pensait que ces chiffres étaient réels et « un peu effrayants ».
Il a ajouté qu’il pensait que cette annonce était destinée à « confronter les gens à la réalité et leur faire peur afin qu’ils respectent davantage les protocoles sanitaires ».
La professeure d’art Rezayi a déclaré qu’elle ne croyait pas que les chiffres étaient aussi élevés.
« Et même s’ils le sont, il est encore difficile de les accepter étant donné que le président est par le passé revenu sur ses déclarations », a-t-elle poursuivi.
Elle faisait ici référence à un commentaire fait par Rohani quelques jours après le début de la pandémie en Iran en février, quand il a déclaré que « tout reviendra à la normale » dans quelques jours.
Après avoir été critiqué pour avoir apparemment tenté de normaliser la crise, le porte-parole du gouvernement a déclaré par la suite que Rohani voulait dire un retour aux procédures normales de prise de décision par les organes de l’État.