Entre les bâtiments délabrés du nord-ouest de la Syrie déchiré par la guerre, le rappeur Amir al-Muarri, âgé de 20 ans, dénonce les bombes du régime, mais aussi les universités fermées et la domination extrémiste.
« J'ai choisi le rap parce que c'est un style politique », a expliqué al-Muarri. « Il dénonce la dictature, la tyrannie, la corruption du gouvernement et les problèmes sociaux. »
La province d'Idlib, où habite al-Muarri, est le dernier grand bastion de l'opposition, et a connu ces dernières années une arrivée massive de déplacés internes (DI).
Aujourd'hui habitée par près de trois millions de personnes, Idlib a été frappée par des bombardements du régime syrien et de la Russie au cours des derniers mois, et près de mille civils y ont été tués depuis fin avril.
Bien qu'un cessez-le-feu soutenu par la Russie soit largement respecté depuis le 31 août, des frappes sporadiques ont lieu.
Avec l'aide de ses amis et d'internet, al-Muarri a sorti le mois dernier son premier clip, intitulé « Sur tous les fronts ».
« Il transmet ce qu'il y a dans le cœur des gens d'ici », a-t-il expliqué.
La chanson parle non seulement de la guerre en Syrie, mais aussi des problèmes quotidiens dans ce bastion dominé par Tahrir al-Sham, une alliance extrémiste dominée par le Front al-Nosra qui contrôle une grande partie de la région.
La vidéo, mise sur YouTube, montre des habitants d'Idlib de tous les milieux bougeant la tête au ralenti sur le rythme de la chanson.
On y voit un secouriste portant un casque de chantier, un membre des Casques blancs, qui sortent des corps et des survivants des bâtiments bombardés.
Mais il y a aussi des gens ordinaires qui vivent à Idlib : un homme arrosant ses plantes, un coiffeur, et deux jeunes garçons sur un balcon jouant aux échecs.
Tupac et Beethoven
Dans la pièce où habite al-Muarri, en haut d'un grand bâtiment, une guitare qu'il espère un jour jouer est accrochée au mur.
Debout dans un coin avec des écouteurs, le jeune rappeur balance des vers dans une minuscule cabine d'enregistrement fixée au mur et garnie de mousse et de cartons à œufs.
Al-Muarri a déclaré qu'il était revenu d'Istanbul l'année dernière dans sa ville natale de Maaret al-Numan, équipé d'un seul micro, après que son frère a été abattu par des gardes-frontière turcs alors qu'il tentait de traverser illégalement la frontière.
Il vivait entre la Turquie et la Syrie depuis 2015.
Il avait peu d'expérience dans le mixage, mais il l'a rapidement appris avec l'aide d'amis trouvés sur internet, dont beaucoup étaient au Liban.
« Parfois, je leur envoie des morceaux et ils font le mixage », a-t-il raconté.
Lorsqu'il ne fait pas de musique, al-Muarri travaille dans le petit magasin de son père où il vend des détergents et d'autres articles ménagers.
Entre deux clients, il sort un téléphone et écoute ses chanteurs préférés : El Rass, mais aussi Bu Kolthoum, un autre rappeur syrien, et Shiboba le Saoudien.
De l'Ouest, il dit aimer Tupac et le rap de la vieille école qui dénonce le racisme et l'oppression, mais aussi Beethoven et Vivaldi.
Pour ses prochains morceaux, il a dit qu'il écrirait peut-être sur les dizaines de milliers de personnes qui se sont retrouvées sans abri par suite des récents combats, ou sur les conférences interminables qui n'ont pas réussi à mettre fin au conflit.
Par-dessus tout, il veut juste être entendu.
« Je souhaite que mes paroles soient comprises comme des mots, pas seulement de la musique pour faire bouger les têtes », a-t-il précisé.
« La guerre et le sang »
Dans sa nouvelle chanson, al-Muarri dénonce « les systèmes qui se nourrissent de la guerre et du sang » huit ans après le début d'une guerre qui a fait 370 000 morts et des millions de déplacés.
La moitié de la population d'Idlib est composée de Syriens déplacés par les combats dans d'autres parties du pays, beaucoup vivant dans des camps.
Tahrir al-Sham a été critiqué pour avoir fermé des universités dans le but de les placer sous son contrôle.
« Ils ont fermé l'entrée des écoles [...] ils ferment la porte à nos moyens de subsistance », déclare-t-il dans son rap, une attaque directe contre l'alliance extrémiste.
« Oublie le programme, l'université a été scellée avec de la cire rouge. »
Malgré ses paroles critiques, le jeune musicien a déclaré qu'il avait jusqu'à présent échappé aux représailles des groupes armés encore présents dans la région.
L'année dernière, Raed al-Faris, chanteur militant, dessinateur et animateur de radio, a été abattu par des hommes armés de Tahrir al-Sham.
« Je reçois des avertissements de journalistes liés à des groupes ou des organisations d'opposition me disant que je devrais y aller plus doucement, ou ne pas parler de telle organisation ou tel groupe », a rapporté al-Muarri.
Mais il les ignore généralement.
« Je veux exprimer ce que je vois », a-t-il conclu. « Les gens me soutiennent tous. »