Dans son appartement de deux chambres à Irbid, à 85 km au nord d'Amman, la réfugiée syrienne Um Mohammed cuisine pour faire vivre sa famille de six personnes.
Elle a dû fuir vers la Jordanie lorsque le conflit s'est approché de sa ville.
« Je voulais faire quelque chose qui me rappelle ma ville natale d'Homs », a-t-elle raconté à Al Mashareq. « Les conditions de vie que nous traversons en tant que réfugiés nous font oublier qui nous étions. Je ne voulais pas oublier. »
Um Mohammed a lancé son entreprise de traiteur chez elle pour aider son mari à faire vivre leur famille et payer les frais de scolarité de leurs enfants.
Comme de nombreuses réfugiées syriennes, elle a utilisé ses talents de cuisinière pour créer une affaire.
Elle l'a nommée « Zaman Ya Sham », en hommage au passé, lorsqu'elle s'asseyait à côté de sa mère et cuisinait du kibbeh sous toutes ces formes – cuit au four, frit, et cru.
C'est aujourd'hui son plat qui se vend le mieux, mais elle le farce parfois de pomme de terre au lieu de viande hachée, pour en limiter le coût.
Pour beaucoup de réfugiées syriennes, faire les courses en Syrie était beaucoup moins onéreux, et elles doivent parfois changer certains des ingrédients de leurs recettes pour pouvoir dégager un profit.
« La Syrie est connue pour son agriculture », a expliqué Um Mohammed. « Des choses comme les légumes et les fruits sont présents dans les jardins de nos maisons. Mais ici, tout est sec », a-t-elle déploré, montrant du doigt la zone aride autour de sa maison.
Um Mohammed a débuté en vendant des plats aux étudiants grâce au cercle d'amis de ses enfants.
« Irbid est une ville universitaire, alors je me suis dit que les étudiants pourraient être mes meilleurs clients, car beaucoup d'entre eux vivent seuls et préfèrent manger un repas fait maison », a-t-elle déclaré.
Concurrence féroce
Um Mohammed fait sa publicité sur une page Facebook qu'elle a créée et sur laquelle elle publie les photos de ses plats syriens.
« La concurrence est forte, beaucoup de Syriennes ont lancé des projets de restauration similaires », a-t-elle fait savoir, mais les gens cherchent toujours la qualité et la garantie d'être servis à temps.
Parmi ses connaissances et ses amis, elle est aussi connue par son taboulé, toutes sortes de fatteh et son shehbarak.
Beaucoup de nouveaux comptes ont été créés sur les réseaux par des Syriennes offrant des services de traiteur en Jordanie.
La popularité de la cuisine syrienne chez les Jordaniens a stimulé ces entreprises, car beaucoup de Jordaniens avaient l'habitude de passer la frontière pour aller se régaler en Syrie.
Mais beaucoup de cuisinières syriennes expriment le besoin d'un sponsor, la création d'un service de traiteur chez soi comportant des difficultés, comme le manque d'équipement et d'appareils de cuisine, un espace limité et les frais d'embauche d'assistants.
Um Mohammed a elle-même connu quelques difficultés pour rester au niveau de la concurrence à cause du manque de sponsor, et elle a dû réduire le nombre de commandes qu'elle peut honorer chaque mois, a-t-elle précisé.
« Le droit de vivre et de travailler »
Un programme de cuisine animé par l'Association de développement familial (ADF) à Amman rassemble les Jordaniennes et les réfugiées syriennes pour qu'elles apprennent mutuellement à cuisiner et échangent leurs recettes.
Manal Harb, cuisinière en chef de l'ADF, a raconté qu'elle avait d'abord eu peur de perdre son travail lorsque les réfugiés syriens ont commencé à arriver en Jordanie. Mais après avoir travaillé avec elle pendant quelque temps, elle a changé d'avis, a-t-elle fait savoir à Al-Mashareq.
« Elles ont elles aussi le droit de vivre et de travailler », a-t-elle affirmé.
« L'ADF est une organisation non gouvernementale créée en 1999 pour donner plus d'autonomie aux femmes grâce à des conseils, des formations et de l'orientation professionnelle », a rapporté Noor Ananbeh, coordinatrice des programmes de l'ADF.
Le programme de formation à la cuisine de l'ADF, mis en place par le biais du programme d'Amélioration sociale et économique Izdihar, « a transformé la vie de 800 bénéficiaires, car 75 % d'entre eux ont pu intégrer le marché du travail », a-t-elle indiqué à Al-Mashareq.
L'organisation organise aussi un programme de cuisine similaire avec SOS, où Syriennes et Jordaniennes partagent leur expertise et leurs recettes, a-t-elle ajouté.
Un sentiment d'autonomisation
Malgré le fait d'avoir connu la guerre, certaines Syriennes ont expliqué que les conditions difficiles les avaient aidées à trouver un but à leur vie.
Chez elles, elles n'avaient jamais pensé pouvoir travailler ou gagner de l'argent.
« Je me sens plus autonome », a déclaré Um Mohammed. « Il y a au moins quelque chose qui me motive chaque jour. »
Ces petites entreprises ont aidé à intégrer les Syriens dans la société jordanienne, car le partage de nourriture favorise la conversation et les bonnes expériences.
« Je viens d'une ville où la nourriture et les repas en famille sont un aspect central de la vie », a fait savoir Um Mohammed.
« Nous avons voulu prouver que les Syriens ne sont pas que des victimes de guerre », a-t-elle affirmé.
« Nous avons une culture, et notre nourriture est un moyen de montrer au monde qui nous sommes », a-t-elle ajouté.
C'est le grand jihad dans lequel ses femmes mujahidat s'engagent pour gagner leurs vies avec dignité et honneur. Salutations et respects aux femmes mujahidats!
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