Le réfugié syrien Cheikh Abdoul Rahim Hassian, militant du dialogue interreligieux, a récemment reçu le prix de la Solidarité spirituelle 2017 de la part de la Fondation Adyan au Liban pour son travail en faveur du dialogue et d'une coexistence pacifique.
Ce prix, présenté à Hassian le 29 octobre au cours d'une cérémonie à l'école Antonine d'Ajaltoun, au nord de Beyrouth, a récompensé son travail en tant que faiseur de paix.
Grâce à un centre qu'il a établi à Akkar, Hassian enseigne aux réfugiés syriens et aux communautés libanaises qui les accueillent les valeurs de la diversité et du dialogue et de la communication interreligieux.
Al-Mashareq s'est entretenu avec Hassian sur son travail de militant du dialogue interreligieux.
Al-Mashareq : Quelles raisons ont poussé la Fondation Adyan à vous remettre ce prix ?
Abdoul Rahim Hassian : Avant le déclenchement de la guerre de Syrie, je prêchais dans une mosquée à Homs et je participais au dialogue interreligieux et au travail social. Quand je suis arrivé au Liban, j'ai continué ce que j'avais commencé en Syrie.
En 2013, j'ai créé le Centre al-Ihsan à Akkar, dans le Liban-Nord, et qui s'appelle aujourd'hui le Centre académique, pour les réfugiés syriens et les communautés hôtes libanaises.
J'ai appris l'existence d'Adyan il y a deux ans, lorsque l'équipe du centre et moi-même avons participé à des ateliers de formation offerts par la fondation, les plus importants ayant été « Éducation pour la paix et la résilience » et « Gestion de la diversité et éducation interreligieuse ».
J'ai acquis une expérience que j'ai partagée avec les bénévoles et les employés du centre, car [les ateliers] ont fourni des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés avec nos élèves syriens.
Nous rencontrions des problèmes liés à la violence et à l'influence de programmes religieux incendiaires et extrémistes par nature sur les élèves.
Grâce à notre participation aux ateliers d'Adyan, nous avons été en mesure de lutter contre les idées extrémistes et les bannir de l'esprit [des élèves], de leur faire connaître autrui et de [leur enseigner] l'ouverture aux autres religions et cultures.
Al-Mashareq : En quoi consistaient ces ateliers ?
Hassian : L'atelier « Éducation pour la paix et la résilience » comportait neuf thèmes : la sécurité et ses sources ; l'identité, l'acceptation de soi et l'ouverture aux autres ; la compréhension des émotions ; l'empathie ; la violence et la gestion des conflits ; les valeurs partagées ; la citoyenneté inclusive pour la diversité culturelle et religieuse ; et les droits des enfants.
Nous avons utilisé le contenu de ce programme auprès de 250 enfants dans notre centre et dans l'école publique Qubbat Bashmara [à Akkar], et le résultat a été une chute de 80% de la violence, et ils ont commencé à résoudre leurs conflits par le dialogue.
Aujourd'hui, les élèves sont immunisés [contre les comportements violents] grâce à la communication, le dialogue et l'ouverture, ce qui a amélioré leur comportement, leur discipline et leurs interactions avec l'administration, les enseignants et leurs camarades libanais.
Ils ont compris que la diversité, que nous avons adoptée comme slogan au centre et à l'école, favorise l'unité et donne de la force.
Nous avons aussi mis en place le programme dans plusieurs camps de réfugiés dans le nord, en coopération avec des organisations de la société civile pour encourager le dialogue.
Al-Mashareq : Comment avez-vous essayé d'inculquer le concept du dialogue interreligieux aux élèves ?
Hassian : Nous nous sommes concentrés sur les coutumes et les traditions de chaque confession et nous leur avons appris que toutes les religions ont le même but, c'est-à-dire servir les hommes et éviter les hostilités entre eux.
Nous avons aussi transmis un message selon lequel tous les êtes humains sont égaux en droits, en devoirs et en libertés, et qu'il n'est pas juste qu'un ecclésiastique d'une religion accuse un autre d'être kouffar (infidèle), ou qu'il justifie le meurtre de ses disciples.
Nous leur avons assuré que les religions n'appellent pas au meurtre, mais qu'elles existent pour le bien et le service des hommes et pour répondre à leurs besoins de base, et pour leur demander d'accepter les autres. [...]
Nous avons enseigné aux élèves que chacun d'eux a ses propres croyances, et qu'ils doivent être respectés et ne pas être une source de conflit.
Nous faisons ce travail pour que les élèves, qui ont connu les conséquences de guerres, puissent développer des pensées culturelles, plurielles et diverses afin de pouvoir regarder vers l'avenir avec confiance.
Al-Mashareq : À votre avis, quels facteurs ont aidés l'initiative à réussir auprès des élèves ?
Hassian : Ce succès peut être attribué aux membres de l'équipe du Centre académique, qui croient en l'importance de la pluralité religieuse et culturelle de notre société arabe. L'équipe elle-même incarne cette diversité.
Nous travaillons tous avec un esprit de modération et de centrisme qui accepte et respecte les autres.
Nous ne nous sommes pas arrêtés à ce que nous avons appris grâce au programme d'Adyan, mais nous avons lancé une initiative avec l'ONG libanaise Arcenciel qui organisait des visites entre des élèves syriens et des élèves libanais chrétiens, pendant lesquelles ils faisaient connaissance et échangeaient des cadeaux et des lettres.
Ces visites ont créé des amitiés et une communication entre les parents de ces écoliers syriens et libanais.
Cette initiative a brisé les préjugés qui existaient entre les Libanais et les Syriens, et entre les musulmans et les chrétiens. Elle a créé une certaine intégration sociale entre les réfugiés et les communautés qui les accueillent.
Al-Mashareq : Que souhaitez-vous accomplir ?
Hassian : Je rêve de répandre la culture de la paix, du dialogue, de la communication non violente, de la résolution de conflit pacifique, de mettre fin au bain de sang et de rentrer dans notre pays.
Nous devons promouvoir la pensée modérée, le dialogue et la communication non violente, non seulement dans les écoles libanaises et celles qui éduquent des élèves syriens, mais aussi dans les mosquées, les églises, les lieux de culte et les institutions et communautés locales.
Nous devons répandre cette culture qui affirme que la guerre n'apporte pas la paix, et que c'est le dialogue et l'acceptation des autres qui crée la paix.
Je souhaite que les ecclésiastiques, les enseignants et les militants deviennent des faiseurs de paix depuis leur plateforme [et leur chaire], et qu'ils enseignent aux enfants, aux jeunes et au peuple en général que les guerres mènent seulement à la morte et la destruction, alors que tout le monde gagne avec une culture de dialogue et de résolution pacifique des conflits.
J'espère diffuser cette culture et ces valeurs pour mettre fin aux conflits, à l'extrémisme et au terrorisme. Nous devons accepter le message de l'amour, de la paix et de la coexistence avec les autres.
Al-Mashareq : Pensez-vous que cela peut être accompli facilement ?
Hassian : Le chemin du service communautaire est parsemé de défis et de ronces.
Mais il nous faut de la détermination, de la volonté et des objectifs, car avoir cela rendra les défis plus faciles à relever.
Je parle par expérience personnelle, car j'ai été soumis au takfir (accusé d'être un infidèle) à cause de ce que je défends et de ce que je cherche à atteindre.
Cela m'a servi de motivation à continuer ma mission, qui est une mission de bienveillance et d'amour face au mal, et je persisterai jusqu'à ce que ses objectifs soient atteints.