Ali Abdelaziz voit les enfants comme un « cadeau de Dieu », à tel point qu'il en a dix, alors que le gouvernement égyptien lutte pour endiguer une explosion démographique « catastrophique ».
Abdelaziz travaille dans la capitale comme portier, mais ses enfants restent dans un village avec leur mère, dans la province méridionale de Minya, où la vie est moins chère.
La surpopulation de l'Égypte augmente la pression sur l'économie, qui souffre déjà de troubles politiques et sécuritaires depuis la révolte de 2011 qui mené à la destitution du président Hosni Moubarak.
Avec 96 millions d'habitants et 9,4 millions d'expatriés, le pays le plus peuplé du monde arabe gagne chaque année 1,6 million d'habitants.
Au rythme actuel, la population égyptienne atteindra 119 millions en 2030, selon un rapport publié en mai par le Fonds des Nations unies pour la population.
Quatre-vingt-quinze pour cent de l'Égypte étant un désert inhabitable, la population se concentre dans l'étroite vallée et le delta du Nil, quelques poches plus petites étant réparties le long des côtes de la Méditerranée et de la mer Rouge.
Une baisse des taux de mortalité au début des années 1970 a encore renforcé la croissance démographique.
Au Caire, mégalopole de près de 20 millions d'habitants, la densité de population frise les 50 000 habitants au km², près de dix fois celle de Londres.
« Deux, ça suffit »
Le président Abdel Fattah al-Sisi a déclaré que la croissance démographique est « un défi aussi vital que celui du terrorisme ».
Le gouvernement a lancé cette année une nouvelle campagne de planning familial sous le slogan « Deux, ça suffit » pour essayer d'endiguer le phénomène.
« Les enfants sont une protection : ils s'occupent de leurs parents quand ceux-ci sont vieux », a indiqué le portier Abdelaziz, non convaincu par la campagne.
Mais Hayam Mohamed, mère de trois enfants, ne veut plus d'enfants et consulte un centre du planning familial gouvernemental au village d'Oumm Khenan, dans la province de Gizeh.
« Je ne veux pas que mes enfants se sentent privés », a déclaré Mohamed, âgée de 32 ans, après avoir reçu ses pilules contraceptives gratuites de la part du docteur du centre, comme beaucoup d'autres femmes de son village.
« L'éducation coûte cher, et la vie est devenue difficile avec l'augmentation des prix. »
Fardous Hamed, docteur au centre, a indiqué que le nombre de personnes sollicitant ses services a augmenté avec la dernière série d'augmentation des prix depuis que les autorités ont fait flotter la livre égyptienne en novembre 2016.
« Les gens d'ici sont devenus plus conscients de la situation », a expliqué Hamed.
Avec le flottement de la monnaie, la livre a perdu plus de la moitié de sa valeur et l'inflation est passée à 33 % en septembre.
« Si je donne naissance à cinq ou six enfants, je ne pourrai pas leur acheter à manger », a expliqué Mohamed.
Flambée des prix
Abou Bakr el-Gendy, directeur du bureau égyptien des statistiques d'État, qui a mené le recensement, a décrit le taux de croissance démographique actuel comme étant une « catastrophe ».
Il a expliqué que le taux annuel s'est accéléré entre 2005 et 2014, avant de se stabiliser en 2016 aux alentours de 2,6 %.
Il faudrait que ce taux soit au moins trois fois inférieur à celui de la croissance économique pour que les conditions de vie des habitants ne se détériorent pas, selon Gendy.
Mais « plus la pauvreté augmente, plus le taux de reproduction augmente, car les parents considèrent les enfants comme une source de revenus », de nombreux enfants entrant sur le marché du travail à un jeune âge, a-t-il précisé.
Selon Magued Osman, directeur de Baseera, un centre privé de recherche sur l'opinion publique, la croissance démographique de l'Égypte équivaut à un « suicide collectif ».
C'est le résultat de « la négligence de ce problème par les politiciens depuis le milieu de la dernière décennie », a fait savoir Mona Abou el-Ghar, professeur d'obstétrique et de gynécologie à l'université du Caire.
« Ce problème doit être pris plus au sérieux avec des campagnes médiatiques constantes à la radio et à la télévision pour sensibiliser à l'importance du planning familial », a affirmé Abou el-Ghar.
Ces campagnes, a-t-elle poursuivi, doivent être sponsorisées par les autorités ainsi que par l'Al-Azhar, la plus haute autorité islamique de l'Égpte.
Abbas Shouman, adjoint au grand imam de l'Al-Azhar, Cheikh Ahmed al-Tayeb, a déclaré que « le planning familial est halal », c'est-à-dire permis dans l'islam.