Économie

L’Iran utilise des agents du Hezbollah pour contourner les sanctions

Nohad Topalian et Junaid Salman à Beyrouth

Des gens passent devant une succursale de la Jammal Trust Bank dans la rue Hamra de Beyrouth le 30 août 2019, un jour après que les États-Unis ont annoncé des sanctions contre le Liban visant à mettre fin au financement du Hezbollah, soutenu par l’Iran. De fortes sanctions financières américaines ont été imposées à la Jammal Trust Bank, qui a été accusée d’agir comme institution financière essentielle pour le Hezbollah. [Anouar Amro/AFP]

Des gens passent devant une succursale de la Jammal Trust Bank dans la rue Hamra de Beyrouth le 30 août 2019, un jour après que les États-Unis ont annoncé des sanctions contre le Liban visant à mettre fin au financement du Hezbollah, soutenu par l’Iran. De fortes sanctions financières américaines ont été imposées à la Jammal Trust Bank, qui a été accusée d’agir comme institution financière essentielle pour le Hezbollah. [Anouar Amro/AFP]

L’Iran utilise un réseau d’agents du Hezbollah au Liban pour contourner les sanctions américaines par divers moyens, paralysant l’économie libanaise et exposant son secteur bancaire aux sanctions, ont mis en garde des économistes et des experts bancaires.

La crise économique du Liban « est le résultat d’années de corruption politique et de l’existence d’un État au sein de l’État libanais », a affirmé à Al-Mashareq un économiste et analyste financier vivant à Beyrouth, sous couvert d’anonymat.

Les sanctions américaines visent avant tout à freiner le Hezbollah, dont la politique est liée à celle de l’Iran et sert ses objectifs expansionnistes dans la région », a-t-il déclaré.

L’Iran utilise le secteur bancaire libanais « comme moyen de contourner les sanctions américaines qui lui ont été imposées, par le biais du Hezbollah », a précisé l’économiste.

L’armée libanaise bloque des partisans du Hezbollah et d’Amal qui scandent des slogans contre les manifestants dans le centre de Beyrouth le 6 juin. Les manifestants ont afflué dans les rues de la capitale libanaise pour dénoncer l’effondrement de l’économie, et des affrontements ont éclaté entre les partisans et les opposants du Hezbollah soutenu par l’Iran. [Anouar Amro/AFP]

L’armée libanaise bloque des partisans du Hezbollah et d’Amal qui scandent des slogans contre les manifestants dans le centre de Beyrouth le 6 juin. Les manifestants ont afflué dans les rues de la capitale libanaise pour dénoncer l’effondrement de l’économie, et des affrontements ont éclaté entre les partisans et les opposants du Hezbollah soutenu par l’Iran. [Anouar Amro/AFP]

Le parti n’utilise pas directement le secteur bancaire libanais, a-t-il expliqué, « mais demande à ses alliés d’effectuer des transactions bancaires pour répondre aux demandes iraniennes ».

Cela est fait « en retirant des dollars en espèces et en les faisant passer en Syrie, et de là vers l’Irak et l’Iran », ainsi que par l’importation de matières premières, comme le carburant, a-t-il indiqué.

« Les entreprises libanaises ont importé plus de carburant sur une période de six mois en 2019 qu’elles ne l’ont fait en 2018, ce qui révèle l’ampleur de la contrebande vers la Syrie et le contournement des sanctions américaines imposées au régime syrien », a-t-il poursuivi.

Le Hezbollah a constitué un dossier sur les employés des banques libanaises, afin de les faire chanter pour qu’ils deviennent des collaborateurs ou de les punir en leur refusant un emploi à l’avenir, a rapporté l’économiste.

Qui plus est, a-t-il ajouté, certains employés de banque qui sont des sympathisants du Hezbollah fournissent des services spéciaux pour faire avancer les intérêts de l’Iran, notamment « l’ouverture de comptes avec de faux noms, ou la dissimulation du nom du propriétaire ».

Il a accusé ces employés de convertir des livres libanaises en dollars et de les retirer du compte, d’accorder des prêts importants et d’émettre des chèques de banque au lieu d’argent liquide pour dissimuler la source.

« Les services de conformité des banques pourraient certes révéler ces faits », a-t-il déclaré. « Mais le fait qu’ils ne le fassent pas indique une collusion de la part des responsables de conformité des banques. »

« Système bancaire parallèle »

Téhéran a trouvé dans le Hezbollah « une fenêtre par laquelle entrer sur le marché bancaire libanais pour retirer des dollars », a expliqué à Al-Mashareq Violette Ghazal al-Balaa, rédactrice en chef d’Arab Economic News.

Le Hezbollah a pu maintenir son activité financière au Liban « grâce à un système bancaire parallèle qui continue de traiter avec le parti et exécute ses demandes en faisant passer clandestinement des dollars par des passages illégaux vers la Syrie », a-t-elle déclaré.

Ce système parallèle, mis en place par le Hezbollah pour fournir à l’Iran des dollars provenant du Liban implique « un cercle restreint de banques » proches du parti, a-t-elle indiqué.

Ce réseau « a été ébranlé par la révélation que la Jammal Trust Bank avait enfreint les sanctions américaines et sa fermeture suite à son inscription sur la liste des sanctions de l’Office of Foreign Assets Control du Trésor américain », a-t-elle déclaré.

Cela a ébranlé certaines banques du réseau, a affirmé al-Balaa, et le Hezbollah s’est donc « tourné vers des réseaux organisés qui traitent en espèces ».

Ce nouveau réseau de liquide comportait des organismes appelés « changeurs de devises de Dahiya », en référence à la banlieue sud de Beyrouth, un bastion du Hezbollah.

« Certains manipulaient le prix du dollar et pratiquaient une spéculation profitable, tandis que des réseaux de particuliers retiraient des dollars des distributeurs automatiques, pour un total estimé à un milliard de dollars », a-t-elle fait savoir.

« Cet argent était ensuite passé en contrebande en Syrie ou en Turquie, et de là vers l’Iran, provoquant la crise de liquidité du dollar sur les marchés libanais ».

Lorsque cela est devenu plus difficile à faire, et alors que la crise du dollar s’aggravait, le parti a persuadé les hommes d’affaires dans son orbite de retirer de l’argent des banques libanaises et de le déposer dans des banques irakiennes qui travaillent pour l’Iran, a-t-elle rapporté.

« Ces retraits ont représenté un total estimé à 6 milliards de dollars ».

L’État libanais souffre

De plus, a déclaré al-Balaa, il a été révélé que « des hommes d’affaires et des entreprises libanais liés au Hezbollah ont conclu des contrats d’importation de matières premières et de biens de consommation sous prétexte de répondre aux besoins du marché local ».

Il a été déterminé par la suite que ces contrats dépassaient de plusieurs fois la capacité de consommation intérieure, a-t-elle poursuivi, et ils sont considérés comme une autre méthode pour faire passer clandestinement des dollars du Liban vers l’Iran.

« L’État libanais, en particulier le secteur bancaire, souffre aujourd'hui des sanctions internationales imposées au Hezbollah », a déclaré à Al-Mashareq Alain Hakim, ancien ministre libanais de l’Économie et du Commerce.

Le Hezbollah « dénigre continuellement le secteur bancaire » parce que ce secteur sert de « barrière contre ses activités », a affirmé Hakim.

C’est la raison pour laquelle le parti cherche à « rejeter sur les banques la responsabilité de la crise économique du Liban », a-t-il déclaré.

Le Liban paie un prix élevé pour les activités du Hezbollah sur son territoire et en Syrie, et pour son asservissement à l’Iran, a déclaré le rédacteur économique d’Al-Joumhouriya, Tony Farah, à Al-Mashareq.

L’hégémonie du parti sur l’État libanais a contribué à « l’effondrement de l’économie nationale et à l’aliénation du Liban envers ses amis arabes et internationaux, ce qui l’a mis dans la situation difficile où il se trouve aujourd’hui », a-t-il indiqué.

Le Hezbollah tente d’exploiter le système bancaire, mais il échouera, a-t-il ajouté, en raison de « la surveillance rigoureuse des banques » et de la préoccupation du parti quant à « la surveillance américaine et internationale de ses activités au sein du système bancaire libanais ».

C’est pour toutes ces raisons que « le Hezbollah effectue ses transactions en espèces », a déclaré Farah.

« Dans les cas où le parti a pu exploiter le système bancaire pour traiter ses transactions, le système bancaire a payé le prix en voyant un certain nombre de banques fermer », a-t-il conclu.

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