Il n'est pas surprenant que le régime iranien nie un rapport selon lequel le commandant en second d'al-Qaïda, Abdoullah Ahmad Abdoullah, alias Abou Mohammed al-Masri, a été secrètement tué à Téhéran par des agents israéliens.
Ce qui est moins évident, c'est pourquoi les responsables iraniens ont protégé al-Masri dans une banlieue chic de Téhéran pendant des années.
Al-Masri, inculpé par les États-Unis pour les attentats à la bombe coordonnés de 1998 contre ses ambassades en Tanzanie et au Kenya, a été secrètement abattu à Téhéran cet été par des agents israéliens à moto sur ordre de Washington, a rapporté le New York Times vendredi 13 novembre.
Le chef d'al-Qaïda a été tué en même temps que sa fille, Miriam, la veuve d'Hamza, le fils d'Oussama ben Laden, a rapporté le journal, citant plusieurs sources de renseignement.
L'attaque a eu lieu le 7 août, le jour de l'anniversaire des attentats africains qui ont fait 224 morts et des centaines de blessés.
Des responsables des services de renseignement américains ont déclaré au New York Times qu'al-Masri était « détenu » en Iran depuis 2003, mais qu'il vivait librement à Pasdaran, une banlieue chic de Téhéran, depuis au moins 2015.
Une couverture crédible, mais fausse
Le matin du 7 août, al-Masri conduisait une berline Renault avec sa fille près de son domicile, lorsque deux hommes armés circulant à moto leur ont tiré dessus à cinq reprises, a rapporté le New York Times.
Deux agences de presse officielles iraniennes, l'IRNA et Mehr, avaient à l'époque signalé un incident similaire et identifié les victimes comme étant Habib Daoud, un professeur d'Histoire libanais de 58 ans, et sa fille Miriam de 27 ans, sans donner plus de détails.
La chaîne d'information libanaise MTV et les réseaux sociaux affiliés au Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) ont rapporté que Daoud était membre du Hezbollah, l'organisation activiste libanaise soutenue par l'Iran.
Ces informations semblaient crédibles, mais la réalité est qu'aucun Habib Daoud n'existait, a fait savoir le New York Times.
Plusieurs Libanais ayant des liens étroits avec l'Iran ont déclaré qu'ils n'avaient pas entendu parler de Daoud ou de son assassinat, a indiqué le journal. Il n'y a pas eu de nouvelles d'un professeur d'Histoire libanais tué en Iran l'été dernier, et un chercheur en éducation ayant accès aux listes de tous les professeurs d'Histoire en Iran a déclaré qu'il n'y avait pas de trace d'un Habib Daoud.
« Habib Daoud » est en réalité un alias que les responsables iraniens ont donné à al-Masri, a déclaré un responsable du renseignement.
Nabil Naeem, l'ancien chef du Djihad islamique égyptien, affilié à al-Qaïda et ami de longue date d'al-Masri, a déclaré la même chose à la chaîne d'information saoudienne Al-Arabiya en octobre.
Le ministère iranien des Affaires étrangères a rejeté ce qu'il qualifie « d'informations inventées ».
Liens avec le régime iranien
Al-Masri était l'un des dirigeants fondateurs d'al-Qaïda et était considéré comme le prochain à diriger l'organisation après son dirigeant actuel, Ayman al-Zawahri.
Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, al-Masri, Saïf al-Adel et Hamza ben Laden faisaient partie d'un groupe de hauts dirigeants d'al-Qaïda qui avaient fui l'Afghanistan et cherché refuge en Iran.
En Iran, al-Masri a servi de mentor à Hamza ben Laden, qui était formé à prendre la tête de l'organisation, selon des spécialistes du terrorisme. Hamza a été tué l'année dernière lors d'une opération antiterroriste dans la région entre l'Afghanistan et le Pakistan.
Al-Adel est toujours en fuite.
En 2017, le gouvernement américain a publié une cache de documents récupérés dans le complexe d'Oussama ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, où il a été tué par des Navy Seals américains en 2011.
Ces documents jettent un nouvel éclairage sur les relations troubles entre al-Qaïda et Téhéran, avec notamment des images du mariage de Hamza en Iran.
Ces documents, avec le récent assassinat d'al-Masri et d'autres preuves accumulées au fil des ans, suggèrent que le régime iranien, et en particulier le CGRI, a des liens étroits avec al-Qaïda.
Le CGRI aurait protégé un grand nombre d'éléments d'al-Qaïda fuyant les autorités internationales.
Le major général Qassem Soleimani, alors commandant de la Force al-Qods d'élite du CGRI, qui a été tué à Bagdad en janvier, « est l'architecte des relations entre le CGRI et al-Qaïda », selon Naeem, l'ancien chef du Djihad islamique en Égypte, qui a renoncé à l'extrémisme.
Avant d'être tué en Syrie en 2008, le commandant militaire du Hezbollah Imad Moughniyeh avait également « joué un rôle important dans la formation des éléments [d'al-Qaïda], en particulier sur les pièges et les attentats à la bombe », a-t-il ajouté.
Les relations entre al-Qaïda, le CGRI et les services de renseignement iraniens sont fortes, a-t-il déclaré, notant que « le symbolisme de cette relation était manifeste lorsque l'Iran a accueilli la famille du leader d'al-Qaïda, Oussama ben Laden ».
Les deux camps alimentent les tensions sectaires depuis des années, a affirmé Naeem, « le CGRI se présentant comme protégeant les droits des chiites et les défendant, et al-Qaïda utilisant la même tactique avec la communauté sunnite ».
L'Iran a toujours nié avoir protégé des responsables d'al-Qaïda, mais avec les dernières révélations, cela devient de plus en plus difficile à croire.
« L'Iran utilise le sectarisme comme une arme quand cela convient au régime, mais il est également prêt à ignorer la division entre sunnites et chiites quand cela convient aux intérêts iraniens », a déclaré au New York Times Colin P. Clarke, analyste antiterroriste au Centre Soufan.