Les décès signalés des deux principaux dirigeants d'al-Qaïda au cours des derniers mois soulèvent des questions sur la future stratégie et la résilience du réseau terroriste, qui n'est déjà plus que l'ombre de la force mondiale qu'il était il y a 20 ans.
Le New York Times a rapporté la semaine dernière que le chef adjoint d'al-Qaïda, Abdoullah Ahmad Abdoullah, alias Abou Mohammed al-Masri, a été tué dans le plus grand secret à Téhéran en août par deux agents israéliens sur ordre de Washington.
D'éminents spécialistes d'al-Qaïda ont cité des sources selon lesquelles Ayman al-Zawahiri, qui a succédé à Oussama ben Laden à la tête du groupe, serait également mort.
L'Iran a fermement démenti la nouvelle de la mort d'Abdoullah, et al-Qaïda n'a pas publié de confirmation quant à la prétendue mort d'al-Zawahiri sur ses canaux médiatiques habituels.
Pourtant, ces informations sont arrivées alors que les questions sur les intentions futures d'al-Qaïda se multiplient, le réseau étant radicalement différent de celui qui répandait la peur dans le monde entier sous la direction du charismatique ben Laden.
« Très typique d'AQ »
La mort du Saoudien lors d'une opération américaine au Pakistan en 2011 a laissé le groupe aux mains d'al-Zawahiri, un vétéran égyptien du djihad et le principal idéologue d'al-Qaïda, mais sans la capacité de ben Laden à rallier les radicaux du monde entier.
Dès le mois d'août de l'année dernière, des renseignements ont commencé à apparaître indiquant qu'al-Zawahiri avait un « problème au cœur », a rapporté à CNN un haut fonctionnaire américain impliqué dans les efforts internationaux de lutte contre le terrorisme.
Hassan Hassan, directeur du Centre for Global Policy (CGP) aux États-Unis, a déclaré ce week-end qu'al-Zawahiri était mort il y a un mois de causes naturelles.
Selon Rita Katz, directrice de l'observatoire des médias djihadistes SITE, des informations non confirmées circulaient indiquant qu'al-Zawahiri était mort.
« Il est très typique pour AQ de ne pas publier rapidement de nouvelles sur la mort de ses dirigeants », a-t-elle expliqué.
Néanmoins, ce n'est pas la première fois qu'al-Zawahiri est donné pour mort avant qu'il ne réapparaisse.
« Les agences de renseignement pensent qu'il est très malade », a précisé Barak Mendelsohn, professeur associé au Haverford College et auteur de plusieurs livres sur al-Qaïda et le djihadisme.
« Au final, si ça n'est pas arrivé cette fois-ci, ça arrivera bientôt », a-t-il déclaré à l'AFP.
« Conseil consultatif »
Si l'un des hommes ou les deux sont morts, le groupe qu'ils ont laissé derrière eux ne peut en aucun cas être comparé au réseau qui avait planifié et exécuté les attentats du 11 septembre contre les États-Unis, affirment des analystes.
Son idéologie a donné naissance à plusieurs franchises à travers le monde qui portent son nom, notamment dans la région du Sahel en Afrique, au Pakistan ainsi qu'en Somalie, en Égypte et au Yémen.
Mais il ne contrôle ni leurs actions ni les alliances qu'elles peuvent forger au niveau local.
Mendelsohn a déclaré qu'il s'attend à ce que la direction d'al-Qaïda agisse à l'avenir davantage comme un « conseil consultatif ».
« Les gens écouteront le commandement central d'AQ s'ils le souhaitent, et pas parce qu'ils pensent devoir obéir à son point de vue », a-t-il affirmé.
N'étant plus le groupe extrémiste suprême, al-Qaïda a vu d'autres groupes se développer et les a parfois affrontés sur le terrain.
Il a été éclipsé par l'État islamique en Irak et en Syrie (EIIS), qui a cherché à se créer un « califat » en Irak et en Syrie et a coordonné plusieurs attaques en Europe.
Le « califat » physique de l'EIIS a été démantelé fin 2017.
Qui est le prochain sur la liste ?
Le principal défi du nouveau dirigeant sera de conserver la puissance du groupe dans ce contexte.
De nombreux analystes désignent un candidat majeur : Saïf al-Adel, ancien lieutenant-colonel des forces armées égyptiennes qui avait rejoint le mouvement djihadiste égyptien dans les années 1980.
Il avait été arrêté puis relâché avant de se retrouver en Afghanistan, qui était la base de ben Laden et d'al-Zawahiri, et d'y rejoindre al-Qaïda.
Selon le groupe de réflexion Counter Extremism Project (CEP) aux États-Unis, il avait été arrêté en Iran en 2003 puis libéré en 2015 dans le cadre d'un échange de prisonniers. On pense qu'il se trouvait encore en Iran en 2018, étant l'un des principaux adjoints d'al-Zawahiri.
« Al-Adel a joué un rôle crucial dans le renforcement des capacités opérationnelles d'al-Qaïda et a rapidement gravi les échelons de la hiérarchie », a fait savoir le CEP.
Mendelsohn a déclaré qu'al-Adel était un « grand nom » du mouvement et « devrait être le prochain sur la liste ».
Mais il a souligné qu'al-Adel et Abdoullah ont passé plusieurs années à se cacher en Iran, se tenant ainsi peut-être à l'écart de la nouvelle génération de dirigeants d'al-Qaïda.
« Je ne suis pas sûr de la force de sa position au sein d'al-Qaïda, surtout maintenant que l'ancienne génération, la vieille garde, a disparu. »