Le groupe Wagner, une armée privée qui exécute le programme du président russe Vladimir Poutine, utilise des tactiques similaires à celles de « l’État islamique en Irak et en Syrie » (ISIS) pour recruter des mercenaires dans le monde entier, indiquent des observateurs.
Le groupe Wagner est apparu pour la première fois en 2014 dans l’est de l’Ukraine, où d’anciens militaires russes, appelés « volontaires » par Moscou, ont rejoint les rangs des forces séparatistes pro-russes, ce qui a finalement conduit à l’annexion illégale de la Crimée.
Au départ, les rangs de cette « armée de l’ombre » étaient composés d’anciens militaires déshonorés, de voyous et d’anciens détenus en quête d’argent et d’aventure, mais au fil des ans, les tactiques du groupe ont changé.
Désormais, toujours en accord avec les souhaits de Poutine, le groupe Wagner a commencé à recruter des jeunes locaux pour combattre dans différents points chauds où le Kremlin a un intérêt direct.
Plus récemment, Moscou, en se servant du groupe Wagner comme chef de file, a orchestré une campagne de recrutement de masse en Syrie.
Nouvelles tactiques pour une nouvelle ligne de front
Il ne recrute pas dans le cadre de cette campagne pour le compte des milices qui se battent aux côtés du régime du président syrien Bachar el-Assad, ce qu’il fait depuis des années, mais pour la nouvelle ligne de front de Moscou : la Libye.
Les jeunes Syriens devenus mercenaires sont envoyés pour appuyer les forces du maréchal libyen Khalifa Haftar, qui a le soutien de Moscou contre le gouvernement internationalement reconnu de Tripoli.
La guerre civile syrienne, qui a débuté en 2011, a laissé une grande partie du pays en ruines, a coûté la vie à plus de 500 000 personnes et a déplacé plus de 7 millions de citoyens.
Pour les mercenaires de Moscou, c’est une situation idéale pour le recrutement de jeunes désemparés.
« Ils payent bien, c'est donc une opportunité parfaite pour les hommes au chômage, dont beaucoup ont perdu espoir en tentant de résoudre leurs problèmes financiers et de mettre de l’ordre dans leur vie », a déclaré le commandant Dauren Ospanov, officier retraité de l’armée kazakhe à Almaty.
Le groupe Wagner offre des salaires mensuels de « 1000 dollars à ceux qui se portent volontaires pour garder les installations et 1500 dollars à ceux qui souhaitent intégrer les groupes de combat » en Libye, a rapporté en mars le quotidien arabe al-Suwayda 24.
Cela représente une fortune relative comparé à ce qui est disponible localement en Syrie.
Le salaire mensuel déclaré des soldats syriens réguliers est de quelque 30 dollars, tandis que le salaire mensuel offert par les différentes milices liées au régime, dont certaines sont soutenues par le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) iranien, varie entre 50 et 100 dollars.
Tactiques de « l’État islamique »
Les méthodes de recrutement du groupe Wagner présentent de nombreuses similitudes avec celles de l’EIIS, comme l’utilisation de l’argent pour attirer des recrues pauvres et la recherche de jeunes vulnérables par le biais d’Internet, a expliqué Ospanov.
Au départ, l’appel à l’aventure et le mirage de l’utopie étaient deux des piliers du recrutement de l’EIIS. Mais après la chute du « califat » de l’EIIS en mars 2019, le groupe, comme Wagner, a capitalisé sur le désespoir économique pour attirer des recrues.
Cette tactique est apparue récemment en Turquie, où les recruteurs de l’EIIS cherchent à profiter des retombées économiques de la pandémie de coronavirus pour cibler les travailleurs migrants du Turkménistan.
Les recruteurs de l’EIIS offrent à ces migrants découragés et sans emploi des « emplois » qui paient 1000 dollars par mois en plus d’une prime immédiate de 1000 dollars.
Les recruteurs prennent soin de ne pas révéler les détails des « opportunités pacifiques » et affirment qu’elles ne sont pas liées à la guerre.
Souvent, comme on l’a vu à maintes reprises durant les années où l’EIIS contrôlait de vastes régions en Irak et en Syrie, ces malheureuses recrues sont immédiatement envoyées en première ligne et confrontées à des situations mortelles.
Le groupe Wagner et ses alliés ont adopté les mêmes tactiques à ce sujet.
Plus tôt cette année, environ 35 jeunes Syriens ont été recrutés par une milice lors d’une action conjointe entre le groupe Wagner et le Parti national de la jeunesse syrien, une organisation officielle qui travaille pour le compte du régime d’el-Assad, a rapporté al-Suwayda 24.
Ces recrues ont été immédiatement envoyées vers le front sans pratiquement aucun entraînement pour combattre contre les rebelles antigouvernementaux.
Sur les 35 combattants recrutés, au moins dix ont été tués, et beaucoup d’autres ont été blessés ou portés disparus au combat dès le premier jour, ce qui suggère que les recrues ne sont que de la chair à canon, a rapporté cet article.
Étant donné que la milice n’était affiliée à aucune entité officielle, les familles des victimes n’ont reçu aucune compensation, malgré les promesses faites par les dirigeants du groupe Wagner et leurs alliés.
Aucune responsabilité
Le groupe Wagner peut accomplir les missions militaires et de renseignement que Moscou ne peut pas faire, a expliqué Edil Osmonbetov, un analyste politique et spécialiste des affaires internationales de Bichkek.
Les sociétés militaires privées (SMP) comme Wagner ne sont pas des « forces armées régulières qui relèvent du droit international », a-t-il poursuivi. « Les États qui les coordonnent ne sont pas responsables de leurs actions. »
Le droit international et le droit russe interdisent tous deux les mercenaires, mais la Douma d’État et le ministère russe des Affaires étrangères ont proposé de légaliser les SMP en Russie, a rapporté DW en 2018.
Reste à cette proposition à prendre force de loi, dont l’absence peut s’expliquer par plusieurs raisons. D’une part, les autorités restent réticentes à l’idée de laisser transparaître un lien trop visible entre le Kremlin et les mercenaires, et d’autre part, elles ne veulent pas non plus laisser les groupes armés non officiels devenir des mouvements sociaux légaux.
En Russie, les autorités nient l’existence du groupe Wagner, tout en reconnaissant que des Russes peuvent participer en privé aux hostilités à l’étranger.
Yevgeny Prigozhin, un homme d’affaires de Saint-Pétersbourg et allié de Poutine qui a fait fortune dans la restauration en signant des contrats juteux avec l’armée et le gouvernement russes, est largement reconnu comme étant le financier du groupe Wagner.
Ce financement privé permet au Kremlin de promouvoir ses intérêts et de mener sa guerre hybride sous couvert d’un démenti plausible.
Wagner mène des opérations militaires dans des pays où le Kremlin a des intérêts stratégiques et géopolitiques, a déclaré Ospanov, officier de l'armée kazakhe à la retraite. La Russie utilise également des combattants dans les régions où elle peut mettre en œuvre des projets énergétiques, comme en Afrique.
« Si un pays dans lequel la Russie a des intérêts et qu’elle qualifie de partenaire commence à faire quelque chose qui va à l’encontre des intérêts géopolitiques de Moscou, alors des "invités non désirés" peuvent y apparaître », a-t-il fait savoir.
En Libye, l’afflux de mercenaires syriens amenés sous les auspices du groupe Wagner commence à susciter l’inquiétude de la population locale, d’autant que beaucoup d’entre eux pourraient être porteurs du coronavirus.
Des scènes similaires se déroulent dans de nombreux points chauds du monde où Moscou souhaite établir son influence, notamment en République centrafricaine, au Soudan, au Venezuela et dans d’autres pays.
La pandémie de COVID-19 a porté un coup particulièrement dévastateur aux pays dont l’économie était déjà faible. Le chômage y a de ce fait fortement augmenté, ce qui fera le jeu du groupe Wagner.
[Kanat Altynbayev d’Almaty a contribué à cet article.]