Des coups de feu résonnent dans le grenier marqué par la guerre de la ville portuaire d'al-Hodeidah, où une montagne de blé destinée aux Yéménites affamés reste inaccessible, alors qu'un cessez-le-feu durement gagné est menacé.
Les Moulins de la mer Rouge, l'une des dernières positions capturées par les forces soutenues par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avant la trêve arbitrée par l'ONU le mois dernier, contiennent suffisamment de blé pour nourrir près de quatre millions de personnes pendant un mois dans un pays au bord de la famine.
Mais l'installation, symbole endommagé prouvant que la nourriture est une arme dans la guerre au Yémen, est restée hors d'atteinte pour les organisations humanitaires depuis septembre, alors que des affrontements menacent le fragile cessez-le-feu conclu avec les Houthis (Ansarallah), appuyés par l'Iran, lors de discussions en Suède.
Ce site, dans l'est d'al-Hodeidah, a été lourdement miné lorsqu'il a échappé au contrôle des Houthis en novembre.
La semaine dernière, lors d'une intégration militaire organisée par la coalition arabe, l'AFP a vu des fidèles du gouvernement, y compris des soldats soudanais, fouiller le vaste complexe avec des détecteurs de métaux, la crainte étant que des combattants houthis s'infiltrent pour poser de nouvelles bombes.
Le Soudan fait partie de la coalition.
Une colonne de fumée s'élevait dans le ciel au niveau des positions houthies, à moins de 1,6 km, les loyalistes expliquant que les Houthis brûlent des pneus par provocations.
Une volée de tirs proches a ensuite résonné dans le complexe. Il était impossible de dire qui tirait.
« Nous sommes décidés à respecter la trêve [...], mais l'ennemi ne respecte rien, comme vous pouvez le voir et l'entendre », a déclaré le commandant yéménite Mohammed Salman, debout à côté d'un tas de céréales.
Juste après la tournée, l'ONU a rapporté vendredi que ce qui semblait être des tirs de mortier sur le moulin avait déclenché un incendie ayant endommagé deux silos à grains.
« La perte de ce blé arrive à un très mauvais moment », a fait savoir Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l'ONU.
« Plus de 20 millions de Yéménites, soit près de 70 % de toute la population, souffrent de la faim».
« Ligne rouge »
À al-Hodeidah, point d'entrée de plus des deux tiers des importantes de nourriture du Yémen et de l'aide internationale, les choix sont drastiques : une trêve imparfaite comportant des infractions des deux côtés, ou des combats ouverts qui pourraient déclencher la famine.
À cause de violations récurrentes, des observateurs avertissent que l'effondrement du cessez-le-feu pourrait n'être qu'une question de temps.
« Si on laisse la trêve s'effondrer, aucune opportunité d'accord similaire ne se présentera avant longtemps », a affirmé l'International Crisis Group.
À al-Hodeidah, une phrase souvent répétée par les civils et les responsables militaires est « mafi hudna », ce qui en arabe signifie « pas de trêve ».
Le colonel Saeed Salmeen, commandant émirati sur la côte ouest du Yémen, a déclaré à l'AFP que ses hommes étaient engagés au respect du cessez-le-feu, mais qu'ils sont « toujours prêts » à se battre.
Il a prévenu que la route de la côte ouest du Yémen, artère de ravitaillement essentielle reliant le sud à al-Hodeidah, était une « ligne rouge ».
Le dirigeant de l'ONU, Antonio Guterres, a déclaré le 7 janvier qu'aucun des deux camps n'avait essayé de gagner du terrain depuis le cessez-le-feu.
Mais un accord de redéploiement des forces rivales en dehors de la ville n'a pas été possible, à cause d'un fort manque de confiance.
Guterres a relevé les allégations des Houthis selon lesquelles les forces progouvernementales amassent des troupes près de la ville, et celles de la coalition qui prétend que la milice fortifie ses positions avec des barricades et des tranchées.
« La nourriture est une arme »
La trêve a donné au Programme alimentaire mondial « une certaine marge de manœuvre » pour atteindre les districts du sud d'al-Hodeidah, qui étaient auparavant inaccessibles à cause des combats, a expliqué à l'AFP Stephen Anderson, le directeur de l'organisation pour ce pays.
Cependant, 51 000 tonnes de blé, un quart de la capacité de production de farine du PAM au Yémen, restent bloquées dans les Moulins de la mer Rouge.
« Nous avons essayé d'y accéder [...], [mais d'après ce que je sais] les Houthis ne nous autorisent pas à accéder au moulin », a rapporté le dirigeant du PAM David Beasley lors d'un entretien à Davos.
« C'est donc quatre pas en avant et deux pas en arrière, mais je suis toujours prudemment optimiste », a-t-il indiqué.
Salman, le commandant yéménite, affirme que les Houthis ont amassé des céréales, créant des pénuries artificielles et exacerbant des conditions proches de la famine.
Lorsque les Houthis contrôlaient le moulin, ils ont accusé la coalition de détruire de la nourriture lors de frappes aériennes aveugles.
« Les Moulins de la mer Rouge sont un point de levier utilisé de façon machiavélique par tous les belligérants pour atteindre des objectifs politiques », a ajouté Wesam Qaid, directeur exécutif de SMEPS, une organisation de développement yéménite.
« Quiconque contrôle ces installations aura plus d'influence sur qui est nourri. La nourriture est une arme. »
Que des paroles!
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