Société

Un ancien combattant syrien, qui a perd la vue durant la guerre, guide les autres avec une application

AFP

Ahmad Talha (troisième en partant de la droite), ancien combattant syrien de l'opposition ayant perdu la vue à cause d'une blessure par balles, pose pour une photo avec d'autres étudiants de l'association pour les aveugles, le 10 novembre 2018 dans la ville d'Anjara contrôlée par l'opposition dans la campagne de l'ouest d'Alep. [Aaref Watad/AFP]

Ahmad Talha (troisième en partant de la droite), ancien combattant syrien de l'opposition ayant perdu la vue à cause d'une blessure par balles, pose pour une photo avec d'autres étudiants de l'association pour les aveugles, le 10 novembre 2018 dans la ville d'Anjara contrôlée par l'opposition dans la campagne de l'ouest d'Alep. [Aaref Watad/AFP]

Quelques années après avoir perdu la vue lors des combats, l'ancien combattant syrien de l'opposition Ahmad Talha se penche vers son téléphone portable, écoutant la voix robotique qu'il a contribué à traduire.

Dans cette rare association pour les aveugles de la province d'Alep, dans le nord du pays, Talha aide une dizaine d'autres personnes dans la même situation que lui à utiliser plus facilement leur smartphone grâce à une application de lecture d'écran.

« Je souhaite que tous les aveugles disposent du meilleur appareil et des meilleurs outils », explique Talha, âgé de 24 ans et dont les yeux sont en permanence fermés, une cicatrice violette visible sous l'œil droit.

La tête baissée et concentrés, des hommes de tous âges et un adolescent tiennent leur téléphone et écoutent les instructions dans ce centre de la ville d'Anjara, aux mains de l'opposition.

Mohammad Ramadan, instructeur à l'association pour les aveugles, dirige un cours le 10 novembre 2018 dans la ville d'Anjara contrôlée par l'opposition dans la campagne de l'ouest d'Alep. [Aaref Watad/AFP]

Mohammad Ramadan, instructeur à l'association pour les aveugles, dirige un cours le 10 novembre 2018 dans la ville d'Anjara contrôlée par l'opposition dans la campagne de l'ouest d'Alep. [Aaref Watad/AFP]

« Allez, ouvrez tous Whatsapp », indique l'instructeur Mohammad Ramadan, vêtu d'une veste en cuir marron et portant des lunettes de soleil d'aviateur pour dissimuler ses yeux.

Les élèves cherchent le service de messagerie, et la salle de classe se remplit de la sourde cacophonie de voix artificielles les guidant face aux icônes invisibles.

Les voix sont masculine ou féminine, certaines étant accélérées jusqu'à trois fois.

Talha raconte avoir trouvé l'application de lecteur de l'écran sur internet et en anglais, et qu'il l'a traduite en arabe avec l'aide d'amis.

« Une touche romantique »

L'application indique à l'utilisateur quelle page il est en train de regarder, ce qu'il peut y faire, et elle lit le texte affiché.

Étudiant en informatique, Talha a rejoint la lutte contre le régime du président Bachar el-Assad un an après le début de la guerre civile en Syrie en 2012.

Deux ans plus tard, une blessure par balles à la tête le privait de l'usage de ses yeux.

« Je n'ai pas baissé les bras, j'ai continué à vivre », affirme le jeune homme affublé d'une courte barbe noire.

Talha a épousé sa première femme, puis une deuxième, et a repris ses études. Il s'est récemment fiancé une troisième fois, avec une aveugle.

« Je vois encore un peu de lumière avec l'œil droit », explique-t-il, regardant la lumière du soleil à travers la fenêtre.

« Il fait presque complètement noir, mais avec une touche romantique, comme une bougie allumée dans une grande pièce », raconte ce père de trois enfants.

Chez lui, Talha aide sa fille d'un an Aïsha à marcher en tenant ses petits bras, et s'accroupit près de son fils de trois ans, Hassan, pour lui dire comment ouvrir YouTube sur son téléphone.

Il y a trois mois, sa première femme a donné naissance à une autre fille.

Football

« Nous ne manquons rien de la vie », affirme sa première femme Samia, les yeux maquillés sous son voile noir.

« Rien ne l'arrête », dit-elle à propos de son mari. « Il a peut-être perdu la vue, mais il a une vision. »

Cette année, Talha a aidé à mettre en place la première association de la région dédiée aux malvoyants, dont le nom en arabe signifie « cœurs voyants ».

« C'est une maison pour les aveugles. Nous nous rassemblons, nous agissons et nous demandons le respect de nos droits », explique-t-il.

Principalement autofinancé, avec quelques dons, le centre se situe dans un bâtiment en pierre d'un étage, dont la façade a été fraîchement peinte.

Une dizaine de personnes arrivent pour la leçon du jour à pied, aidées par des amis, ou à bord d'un vétuste minibus gris.

Le directeur Ahmed Khalil explique que ce nouveau centre cherche à aider ceux qui ont perdu la vue durant cette guerre de sept ans, notamment à cause des frappes aériennes.

« L'association a pour but de faire sortir les aveugles de leur isolement », ajoute-t-il, assis à son bureau et portant une veste marron.

Depuis octobre, huit bénévoles apportent un soutien psychologique et une formation à l'utilisation de téléphones portables et de l'unique ordinateur du centre, explique-t-il.

Mais ils ont aussi des activités plus amusantes, raconte Talha, comme les échecs ou le football, avec un ballon spécial équipé d'une cloche.

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