Diplomatie

À Oman, une ancienne méthode de médiation est remise au goût du jour

AFP

Lorsqu'il s'est retrouvé dans une situation menaçant ses revenus, l'Omanais Mahmoud ben Yousef Temtemi a décidé de se plaindre selon la tradition de son pays : devant le « sabla » local.

L'Omanais Mahmoud ben Yousef Temtemi s'est retrouvé dans une situation pastorale difficile cet automne, lorsque le troupeau de moutons de son voisin a envahi sa ferme et a dévoré ses cultures, menaçant ses revenus.

Plutôt que de faire un scandale ou d'aller voir la police, Temtemi a choisi choisi de se plaindre selon la tradition de son pays : devant le « sabla », ou conseil, local.

Vêtu d'une robe et d'un bonnet brodé, Temtemi a pris place par une matinée de dimanche ensoleillée au sabla de son quartier, dans le village de Ghala, qui se tient à l'extérieur, sur le trottoir.

« La ferme est notre gagne-pain », a déclaré Temtemi à un correspondant de l'AFP assistant à la réunion. « Je me suis dit que je porterais plainte auprès du sabla où le propriétaire des moutons sera présent. »

Le 27 octobre 2017, des Omanais discutent dans la salle de réunion du conseil local traditionnel appelé « sabla », dans le petit village de Ghala, près de Mascate. Les hommes du village de Ghala se rassemblent tous les vendredis pour le « sabla », un conseil traditionnel où les petits et les grands problèmes sont arbitrés sans que l'Etat n'interfère. [Giuseppe Cacace/AFP]

Le 27 octobre 2017, des Omanais discutent dans la salle de réunion du conseil local traditionnel appelé « sabla », dans le petit village de Ghala, près de Mascate. Les hommes du village de Ghala se rassemblent tous les vendredis pour le « sabla », un conseil traditionnel où les petits et les grands problèmes sont arbitrés sans que l'Etat n'interfère. [Giuseppe Cacace/AFP]

Des Omanais discutent le 27 octobre 2017 dans le petit village de Ghala, près de Mascate, dans le cadre de leur réunion hebdomadaire du « sabla », où ils arbitrent les problèmes des habitants locaux. [Giuseppe Cacace/AFP]

Des Omanais discutent le 27 octobre 2017 dans le petit village de Ghala, près de Mascate, dans le cadre de leur réunion hebdomadaire du « sabla », où ils arbitrent les problèmes des habitants locaux. [Giuseppe Cacace/AFP]

A Ghala, tout près de la capitale Mascate, le cheikh apporte humblement le petit-déjeuner lors des réunions du conseil. Le plus jeune sert le café.

Cette convivialité a brisé la glace pour la médiation que Temtemi cherchait. Reconnaissant qu'un problème devait être résolu, les hommes se sont rendus dans la salle de réunion : une pièce spartiate ne contenant quasiment que des bancs intégrés aux murs.

Les anciens ont écouté l'histoire de l'agriculteur, ont débattu, puis ont décidé que le propriétaire des moutons verserait une compensation.

« Il paiera 150 riyals (390 $) et gardera un œil sur ses moutons », a déclaré Temtemi, satisfait.

Le sabla d'Oman est une forme unique de recherche de consensus que beaucoup voient comme étant au centre des traditions de cette nation du Golfe, et que certains veulent adapter à l'âge des smartphones.

« Les jeunes et les vieux viennent à ce conseil pour apprendre. Les jeunes apprennent les bonnes manières auprès de leurs aînés », a expliqué Sayeed ben Khalfan Nabhani à Ghala, arborant une barbe grise.

Nabhani a déclaré que l'Histoire du sabla remonte à « longtemps », mais qu'il y a une quarantaine d'années, après l'arrivée au pouvoir du Sultan Qaboos à Oman, il a reçu une certaine reconnaissance gouvernementale.

« Depuis le début des années 1970, le gouverneur et le juge siègent au conseil, avec les témoins et les habitants des villages, en plus de la personne ayant un problème », a rapporté Nabhani.

Une solution est souvent trouvée avant qu'il soit demandé au juge d'intervenir, a-t-il fait savoir.

Sabla 2.0

Dans les zones reculées, le sabla reste au centre de la vie, mais même là-bas les choses changent, les femmes réservant par exemple la salle pour leurs propres réunions.

Hilal al-Siyabi, un militant omanais de communauté, pense que le sabla peut – et doit – rester moderne.

A Samael, banlieue luxuriante de Mascate, un nouveau genre de sabla est en cours de construction.

Un bâtiment vide se dresse près de la route principale, avec une chaîne de montagnes visible en arrière-plan.

La voix de Siyabi résonnait alors qu'il montrait l'endroit où des écrans plats et des ordinateurs seront installés pour un futur cybercafé.

« Nous nous appuyons sur le concept de sabla pour obtenir quelque chose de bien mieux, qui soit bénéfique à la communauté d'aujourd'hui », a-t-il déclaré.

Ce centre engloberait toute la famille, a-t-il expliqué, avec un accent mis sur les jeunes.

Siyabi a fait savoir qu'une réunion préliminaire il y a trois ans était remplie d'habitants curieux, et notamment de femmes.

« De jeunes femmes », a-t-il précisé. « Elles étaient heureuses de disposer d'un tel centre. Elles ont dit "Nous ne travaillons pas, mais nous allons vendre notre or précieux pour contribuer à quelque chose comme ça".

Siyabi a ajouté que le gouvernement soutient pleinement l'initiative, qui a pour but de perpétuer les traditions dans un monde changeant et pour garder la résolution des conflits au niveau local.

Il voit le sabla évoluer de son rôle d'autorité de médiation vers un forum municipal et centre communautaire.

Consensus royal

Pour Ahmed al-Moukhaini, analyste de politique publique à Mascate, le sabla est un « microcosme » de l'Etat omanais : discret et tribal.

« On ne lave pas son linge sale en public », a affirmé Moukhainin ajoutant qu'il n'est pas étonnant que le gouvernement soutienne la poursuite du sabla.

Sous le règne du sultan Qaboos, Oman n'a pas remplacé le sabla – qui est désormais une « forme mineure de rassemblement », a indiqué l'analyste, mais l'a institutionnalisé, les formes de gouvernement modernes continuant de fonctionner de la même façon patriarcale et hiérarchique.

« A Oman, ils ont passé beaucoup de temps sur la recherche de consensus, par opposition aux décisions prises par majorité », a indiqué Moukhaini.

Les autorités de Mascate continuent de reconnaître les chefs de tribus comme représentants officiels, inscrits auprès du ministère de l'Intérieur.

Chaque « rasheed », ou « interlocuteur », de tribu, fonctionne comme un intermédiaire avec le gouvernement, sondant régulièrement les sentiments par rapport à des changements de politique intérieure, comme les récentes propositions de privatisation des soins de santé.

« Je ne connais pas d'autre pays où les leaders tribaux reçoivent un salaire, et où le système de régions des cheikhs est contrôlé par le gouvernement », a indiqué Moukhaini.

Même le conseil moderne de la Choura, le seul organisme élu d'Oman, est dominée par les poids lourds des tribus – pas par les technocrates et les intellectuels que l'on trouve dans le conseil d'Etat composé par le sultan.

« Le système qui est encore en place garde un œil sur l'opinion et le ressentiment publics », a déclaré l'analyste.

Lorsque Qaboos a renversé son père lors d'un coup d'Etat non violent en 1970, le dirigeant éduqué au Royaume-Uni a rapidement tendu la main aux tribus dans une allocution radio, rassurant les chefs tribaux et promettant d'institutionnaliser leur rôle.

Le sabla est tellement important dans la culture omanaise qu'il décidera même de qui succédera au sultan de 77 ans à sa mort.

« La loi fondamentale prévoit que la nomination du prochain sultan revient au sabla de la famille royale », a expliqué Moukhaini.

Si les cousins de Qaboos – qui n'a ni frères ni héritier – ne réussissent pas à choisir un successeur sous quelques jours, Moukhaini a indiqué qu'il reviendrait alors au conseil de défense, au juge suprême et au conseil de la Choura de parvenir à un consensus, cette fois au nom de la nation.

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