Santé

Une médecine transfrontalière pour les blessés de guerre syriens

Par Nohad Topalian à Beyrouth

Ahmad, un enfant syrien qui a perdu les deux jambes pendant la bataille d'Alep, a bénéficié d'une chirurgie reconstructive à l'hôpital Rafiq Hariri de Beyrouth. Sur cette photo, Ahmad est en rééducation avec l'aide d'un médecin du CICR pour apprendre à marcher avec ses jambes artificielles. [Photo fournie par le CICR au Liban]

Ahmad, un enfant syrien qui a perdu les deux jambes pendant la bataille d'Alep, a bénéficié d'une chirurgie reconstructive à l'hôpital Rafiq Hariri de Beyrouth. Sur cette photo, Ahmad est en rééducation avec l'aide d'un médecin du CICR pour apprendre à marcher avec ses jambes artificielles. [Photo fournie par le CICR au Liban]

Alors que les infrastructures médicales syriennes sont en ruines, que nombre de médecins sont partis en exode et que la situation sécuritaire rend difficile l'accès à certaines régions du pays, les équipes médicales traitent les blessés de guerre de l'autre côté de la frontière, au Liban et en Jordanie.

Plusieurs organisations internationales ont mis en place des centres médicaux et des salles d'opération près de la frontière syrienne pour y traiter les blessures de guerre occasionnées par le conflit armé.

Outre le fait d'y pratiquer des actes de chirurgie vitaux, ces équipes offrent des services de suivi et de rééducation, ont expliqué à Al-Mashareq des médecins près de la frontière syrienne.

Certaines de ces équipes sont basées au Liban et en Jordanie pour pouvoir travailler, parce qu'elles ne peuvent le faire dans les zones de conflit en Syrie, tandis que d'autres apportent par internet un soutien et une aide à leurs confrères restés en Syrie.

Avec l'effondrement du secteur de la santé en Syrie, des docteurs de l'association médicale américano-syrienne (Syrian American Medical Society - SAMS), une organisation d'aide médicale à but non lucratif agissant en Syrie et dans les pays voisins, se sont portés volontaires pour combler ce vide.

La SAMS fournit actuellement des services médicaux en Syrie, au Liban, en Jordanie, en Turquie et en Grèce, a expliqué le Dr Mohamed Sekkarie, néphrologue et urologue basé aux États-Unis, membre de la commission de néphrologie de la SAMS.

« Les médecins qui travaillent en Syrie ont examiné trois millions de cas l'année dernière, et ont pratiqué des opérations chirurgicales de temps de guerre », a déclaré Sekkarie.

À cause de la pénurie de spécialistes dans le pays, « nous aidons à distance les médecins et les étudiants en médecine qui sont restés en Syrie dans leurs cabinets grâce à la télémédecine par internet », a-t-il expliqué.

« Nous effectuons des opérations à distance avec les docteurs restés en Syrie, en les guidant pour assurer le succès de l'intervention », a-t-il ajouté. « Nous les aidons ainsi à sauver la vie des blessés dans de nombreuses régions de Syrie. »

Activités du CICR au Liban

La guerre en Syrie « fait chaque jour un grand nombre de blessés, et aucun soin médical de qualité n'est disponible, ce qui entraîne des complications et des infections », a expliqué Fabrizio Carboni, président de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Liban.

« Notre incapacité à envoyer des équipes médicales spécialisées du CICR dans de nombreuses régions de Syrie nous a obligés à agir depuis le Liban, en mettant à profit sa très grande expérience dans le traitement des blessés en temps de guerre », a-t-il indiqué.

« Tout ce que nous pouvons faire en Syrie, c'est apporter un soutien aux installations médicales [dans les régions] qui se trouvent sous le contrôle du régime et fournir du matériel médical aux centres [dans les zones] contrôlées par l'opposition », a-t-il ajouté.

« Nous avons mis sur pied un centre de chirurgie reconstructive il y a trois ans à Tripoli et au sein de l'hôpital Rafiq Hariri de Beyrouth, en partenariat avec des chirurgiens du Centre médical de l'université américaine de Beyrouth (CMUAB), où nous apportons des services chirurgicaux en temps de guerre, une aide psychothérapeutique et des installations de prothèse », a-t-il précisé.

Carboni a ajouté que les blessures varient et sont provoquées « par des explosions, des effondrements de bâtiments, des retards de traitement entraînant une inflammation des blessures, ainsi que des brûlures et des pertes de membres. Les blessés sont de tous les âges et l'on compte parmi eux de très nombreux enfants. »

Chaque année, les centres du CICR traitent des centaines de patients, a-t-il poursuivi, et ils assurent un suivi de leurs cas pendant au moins six mois, car certains nécessitent plusieurs interventions et une rééducation.

Programme de chirurgie en temps de guerre

Les blessures et les handicaps causés par la guerre en Syrie « s'accumulent et augmentent en raison de l'effondrement du secteur de la santé et de l'émigration en masse des docteurs », a expliqué le Dr Ghassan Abou-Sitta, chef de l'unité de chirurgie cosmétique et reconstructive au CMUAB.

Cela a contraint les médecins qui sont restés dans le pays à concentrer leurs efforts sur le fait de sauver des vies, a-t-il déclaré à Al-Mashareq.

Pour répondre à cette pénurie de professionnels médicaux, « les organisations internationales se sont à leur tour concentrées sur une chirurgie de temps de guerre et reconstructive », a-t-il expliqué, ce qui a permis de compenser la perte de 50 % des médecins en Syrie et de 60 % en Irak.

Un programme de chirurgie de temps de guerre et de rééducation est mis en oeuvre en partenariat avec le CMUAB et d'autres organisations médicales internationales, a-t-il précisé.

Le CMUAB s'efforce de se déployer dans des pays frappés par les conflits, comme l'Irak, la Syrie et la Libye, pour former des docteurs à la chirurgie en temps de guerre, a-t-il poursuivi.

Ce travail « est destiné à sauver la vie des blessés graves qui nécessitent une chirurgie, et parce que le nombre de blessés augmente », a expliqué Abu-Sitta.

Le nombre de personnes blessées chaque année en Syrie est six fois supérieur au nombre de celles qui meurent, a-t-il souligné.

Médecins sans frontières en Jordanie

En Jordanie, le coordinateur de Médecins sans frontières (MSF) le Dr Rashid al-Samerrai, chirurgien orthopédique, a parlé à Al-Mashareq des défis de la chirurgie en temps de guerre.

« À l'hôpital Al-Mouwasat, nous avons une équipe de chirurgiens orthopédiques et de spécialistes en chirurgie faciale, maxillofaciale et corrective qui pratiquent la chirurgie sur les blessés », a-t-il raconté.

« Nous sommes souvent confrontés à des cas difficiles et complexes », a-t-il expliqué, ajoutant que chaque jour apporte son lot de chirurgies difficiles.

Le taux de succès des opérations en temps de guerre varie en fonction des blessures et de la rapidité du début des interventions et des traitements, a fait savoir al-Samerrai.

La chirurgie de guerre est « exigeante, au vu de la complexité des blessures et des complications pour le patient qui peuvent en résulter », a-t-il poursuivi.

L'hôpital Al-Mouwasat traite un grand nombre de blessés syriens, irakiens et yéménites, a-t-il rapporté, mais sa proximité avec la Syrie signifie que les patients syriens peuvent y être transportés plus vite, et que leurs blessures sont par conséquent plus faciles à soigner.

Les blessures les plus courantes sont « la perte de tissus, la contraction des tissus, les blessures graves et les blessures aux tendons des mains », a-t-il expliqué.

« Tous ces cas exigent de nous que nous pratiquions une chirurgie corrective et que nous essayions de compenser la perte de masse osseuse, de tissus ou de nerfs », a-t-il ajouté.

MSF traite une soixantaine de cas de tous âges chaque mois, un nombre qui augmente lors de situations d'urgence, a-t-il poursuivi, ajoutant que les docteurs de MSF s'efforcent de rester informés des avances en matière chirurgicale, pour être en mesure d'apporter un traitement efficace à leurs patients dans les zones de conflit.

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