Droits de l'Homme

Une nouvelle mort ravive l'appel à libérer les Libanais prisonniers du régime syrien

Par Tamer Abou Zeid à Beyrouth

Une image du film « Tadmor » montre les durs traitements infligés dans les prisons du régime syrien. Ce film a été produit en collaboration avec l'Association des détenus libanais en Syrie et co-réalisé par Monika Borgmann et Lokman Slim. [Photo extraite du film Tadmor]

Une image du film « Tadmor » montre les durs traitements infligés dans les prisons du régime syrien. Ce film a été produit en collaboration avec l'Association des détenus libanais en Syrie et co-réalisé par Monika Borgmann et Lokman Slim. [Photo extraite du film Tadmor]

La prison militaire de Tadmor (Palmyre) en Syrie est tristement célèbre pour les tortures infligées aux prisonniers, selon Ali Abou Dehn, président de l'Association des détenus libanais dans les prisons syriennes.

Ceux qui ont réussi à en sortir vivants méritent le titre de « martyrs vivants » ou de « rescapés de l'enfer », a-t-il expliqué à Al-Mashareq lors d'un récent entretien exclusif.

Le 10 mai, le corps sans vie du premier adjudant Qais Munther, membre des forces de sécurité intérieures libanaises, a été ramené au Liban après avoir passé dix ans dans les prisons du régime syrien.

Cet incident à lui seul contredit le régime, qui prétend ne pas détenir de prisonniers libanais, a affirmé Abou Dehn.

Le président de l'Association des détenus libanais dans les prisons syriennes Ali Abou Dehn a été prisonnier pendant treize ans dans les prisons syriennes, où il a subi des tortures à la fois physiques et psychologiques. [Photo fournie par Ali Abou Dehn]

Le président de l'Association des détenus libanais dans les prisons syriennes Ali Abou Dehn a été prisonnier pendant treize ans dans les prisons syriennes, où il a subi des tortures à la fois physiques et psychologiques. [Photo fournie par Ali Abou Dehn]

Abou Dehn a passé treize années dans les prisons syriennes. Il a été arrêté en 1987 par l'agence de renseignement syrienne pour son opposition à la présence syrienne au Liban.

Il a été relâché avec 53 autres détenus à la mort de l'ancien président Hafez al-Assad, lorsque son fils accéda au pouvoir, a-t-il expliqué, et milite depuis lors pour obtenir la libération des détenus libanais qui restent dans les prisons syriennes.

Lundi 15 mai, le Département d'État américain a publié des images satellites de Saydnaya, une prison militaire proche de Damas, qui semblent montrer un crématorium construit pour détruire les restes de milliers de prisonniers assassinés.

Ces images viennent étayer des témoignages d'assassinats de masse dans cette prison, a indiqué l'AFP.

Al-Mashareq : L'assassinat de Qais Munther a-t-il permis de rouvrir le dossier des détenus libanais dans les prisons syriennes ?

Ali Abou Dehn : La question des détenus libanais dans les prisons syriennes est une question sacrée, qui est toujours présente et vivace et ne peut s'effacer de la mémoire. Mais elle est encore et toujours rappelée par les médias et refait chaque fois la une des journaux lorsqu'une affaire survient. Le retour de Qais Munther en martyr vient réfuter le déni du régime d'Assad de la présence de détenus [libanais dans les prisons syriennes].

Al-Mashareq : En tant qu'association, qu'avez-vous l'intention de faire pour rouvrir ce dossier ? Avez-vous un programme ou un plan d'action spécifique ?

Abou Dehn : Nous ne ménageons aucun effort ni aucune action en dépit du fait que les portes se ferment sur nous. Nous utilisons donc la presse et les sites des médias pour atteindre notre but, qui est de faire libérer tous les prisonniers politiques libanais des prisons syriennes. Nous demandons à l'État libanais de nous accorder une indemnisation pour la durée de notre détention arbitraire et de déposer une plainte internationale contre le gouvernement syrien et quiconque nous a torturés et a participé à notre détention et à notre dissimulation.

Al-Mashareq : Quelle était l'accusation à l'encontre de Munther lors de son arrestation ?

Abou Dehn : Les accusations en Syrie varient selon les [affiliations] sectaires, les croyances et le lieu de naissance. Toutes ces accusations sont invalides et sans fondement. Toutes les confessions ont été obtenues sous la torture.

Al-Mashareq : Y a-t-il des informations sur les prisonniers libanais dans les prisons du régime syrien ?

Abou Dehn : Il n'existe aucune information nouvelle sur les détenus, si ce n'est ce que nous apprenons auprès de prisonniers syriens relâchés. Aucun nom n'est mentionné, nous ne pouvons donc nous fonder sur cela. Les prisonniers connus dont le matricule est documenté par le gouvernement libanais sont au nombre de 628, et pour nous, ils sont tous vivants tant que l'État syrien n'apportera pas la preuve de leur mort et qu'ils nous seront remis, morts ou vifs.

Al-Mashareq : Vous avez publié un livre consacré à la torture en détention. Parlez-nous-en.

Abou Dehn : J'ai publié un livre en 2012 intitulé « Retour de l'enfer », sur Tadmor (Palmyre) et d'autres prisons syriennes. Il décrit les tortures physiques et les souffrances psychologiques auxquelles moi-même et d'autres prisonniers avons été soumis.

J'ai par la suite publié un ensemble de livres sur des prisonniers ayant survécu aux prisons syriennes et une pièce intitulée « La chaise allemande » qui fut montée dans cinq villes allemandes. Le titre était inspiré par l'une des méthodes de torture couramment utilisée, qui était si douloureuse qu'elle entraînait une rupture de la colonne vertébrale du prisonnier.

Enfin, j'ai produit un film intitulé « Tadmor », dont les acteurs étaient eux-mêmes [d'anciens] prisonniers, réalisé par Monika Borgmann et Lokman Slim.

Al-Mashareq : Quelles sont les prisons syriennes connues pour la torture ?

Abou Dehn : Jadis, la prison de Tadmor était classée comme l'une des plus tristement célèbres pour la torture mortelle. La torture dans les prisons syriennes est systématique et à volonté, ce qui veut dire que le policier ou l'interrogateur peut faire ce qu'il veut avec sa victime pour obtenir la confession qu'il souhaite, et qu'il ne doit rendre aucun compte si sa victime meurt ou reste paralysée. Ce qui importe, c'est la confession.

Quiconque ressort vivant de Tadmor connaît une renaissance et mérite le titre de « martyr vivant » ou de « rescapé de l'enfer ». Personnellement, j'ai passé cinq ans à Tadmor et huit à Saydnaya.

Al-Mashareq : Que faut-il aujourd'hui pour que l'on parle de la question des prisonniers libanais dans les prisons syriennes ?

Abou Dehn : L'État libanais doit agir par le biais des canaux diplomatiques dont il [ou l'ONU] dispose pour assurer le retour de tous les détenus des prisons syriennes.

Parlant en mon nom et au nom de tous les détenus dans les prisons syriennes, nous sommes très inquiets de ce qu'il se passe actuellement dans les prisons du régime – le bain de sang, la torture, les meurtres, les intimidations et l'absence de toute responsabilité. Nous en appelons à toutes les personnes de bonne conscience, à tous les gouvernements et à toutes les organisations pour qu'ils nous aident.

Aimez-vous cet article?

0 COMMENTAIRE (S)

Politique Commentaire * INDIQUE CHAMP NÉCESSAIRE 1500 / 1500